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précédés par l’abbé ; un des serviteurs courut chercher le médecin.

Mme de Langelle, posée sur son lit, avait repris connaissance, et sans manifester la moindre surprise, d’une voix à peine distincte :

« Je vais mourir, dit-elle. Dieu a daigné exaucer mes prières, je ne survivrai pas à mon fils. Laissez-moi avec M. l’abbé. »

Les serviteurs se retirèrent sur la pointe des pieds. Au bout d’un quart d’heure Mariette rentra. « Voilà le docteur, » dit-elle à l’abbé qui pleurait.

Le médecin s’approcha du lit. Après un rapide examen : « Elle est morte, dit-il, de la rupture d’un anévrisme. »

En effet, au moment où elle recevait l’absolution, Mme de Langelle avait rendu le dernier soupir sans spasme ni agonie.

« Quelle horrible nouvelle à apprendre au fils ! » répétait-on dans toute la ville d’Aix.

Mais, à la fin de février, la grande catastrophe fut connue, qui mit en deuil tant de familles.

À Toulon et au ministère de la marine, on croyait la Sémillante dans l’Archipel et même au delà, lorsque arriva de Bonifacio une lettre écrite parle commissaire de l’Inscription maritime. Cette lettre apprenait à l’amiral Dubourdieu que des tronçons de mats et d’autres épaves venaient d’être découverts par des pêcheurs sardes aux abords de l’îlot Lavezzi dans les bouches de Bonifacio. Sur plusieurs débris était écrit le mot : Sémillante.

On voulait espérer que l’équipage et les passagers étaient sauvés, réfugiés sur un point ou l’autre ; mais l’aviso à vapeur l’Averne, expédié immédiatement de Toulon, explora en vain les côtes de la Corse et de l’ile de Sardaigne ; il ne découvrit pas un seul cadavre parmi quantité d’épaves en miettes.

Dans sa colère folle, la mer engloutit et elle garde encore les six cents hommes, officiers, matelots ou passagers de la Sémillante[1].

« J’ai toujours déjoué la mer, disait un jour Jacques de Langelle, mais elle me cherche, croyez-le, car je n’ai jamais terminé une campagne sans que mon bateau ou moi ayons été en perdition. » Cette fois la mer l’avait trouvé et emporté.

Mme de Résort et Paul versèrent bien des larmes ; la première croyait encore entendre cet ami si dévoué de son Ferdinand leur disant adieu au moment de s’embarquer, souriant pour cacher son émotion, remettant et ôtant son lorgnon, et disant de sa voix chaude, bien timbrée, que voilaient quelques larmes :

  1. Historique.