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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

Mariette se retira le cœur gros, elle aimait passionnément sa maîtresse, qui l’avait recueillie et élevée. Retirée dans sa chambre, elle murmurait :

« Bien sûr, je n’obéirai plus à M. l’abbé, et, aussitôt M. Jacques de retour, je lui répéterai clair et net les paroles du médecin, et que sa mère a une maladie de cœur très avancée. »

Cependant, quoiqu’elle ne voulût pas dormir et essayât de s’appliquer tantôt à un ouvrage de couture, tantôt à une lecture, le besoin de sommeil devenant impérieux, les yeux de Mme de Langelle se fermèrent malgré elle. Alors elle se leva et parcourut la vaste pièce, regardant divers objets : les vieux meubles ayant appartenu à ses ancêtres et des portraits, des miniatures posées çà et là, celle de son mari, mort tout jeune après une chute de cheval, une autre représentant deux ravissantes petites filles, les siennes, enlevées en deux jours par le croup, puis les portraits de son Jacques à tous les âges, dans toutes les tenues d’aspirant et d’officier de marine. Tout à coup Mme de Langelle s’écria : « J’y suis résolue : à la paix, j’accepterai le sacrifice de mon enfant bien-aimé, il ne naviguera plus, et je pourrai vivre et mourir auprès de lui. »

Assise auprès du feu ravivé, très apaisée par cette résolution, Mme de Langelle ne lutta plus contre l’envie de dormir. D’abord très calme, souriant même, elle rêva de son fils qui revenait en criant dès la porte : « Maman… » Elle se levait pour l’embrasser ; mais Jacques paraissait s’éloigner à reculons, en regardant sa mère qui n’hésitait pas à le suivre. Ils traversaient la ville endormie, sans pouvoir se rapprocher l’un de l’autre et en marchant avec une rapidité toujours croissante. Tout à coup ils étaient transportés au sommet d’une haute falaise, et là elle disait : « Jacques, j’ai froid, allons-nous-en, je gèle. » Mais Jacques ne la regardait plus, les yeux fixés au large sur un bâtiment désemparé dont les mâts étaient brisés et d’où partaient des cris de désespoir. Elle appelait : « Jacques, mon Jacques, viens, reste ici, n’y va pas ! » Sans l’écouter, il se laissait glisser jusqu’au rivage, et elle l’apercevait de nouveau, mais sur la dunette du bâtiment qui alors se remplissait et coulait à pic ! essayant de s’élancer, ses pieds restaient cloués au sol pendant qu’elle répétait : « Jacques, Jacques, emmène-moi, je t’en supplie… »

Réveillée en sursaut par des cris aigus, Mariette se précipita au travers des grands corridors jusqu’à la chambre de Mme de Langelle, et, en ouvrant la porte de cette chambre, elle s’élança à temps pour recevoir dans ses bras sa maîtresse évanouie.

Aux appels de Mariette, les autres domestiques arrivèrent tous,