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filles essayaient de dissimuler une violente envie de rire, le Marseillais se frottait les mains et disait à un Anglais :

« Je lui ai fermé la bouche à cet ignorant. »

Sur les côtes de Provence, la tempête continua pendant huit jours après le départ de la Sémillante. À Aix, dans son grand et triste hôtel, Mme de Langelle écoutait le bruit des rafales avec une indicible angoisse ; elle ne se rappelait pas avoir jamais éprouvé rien de pareil. « Non, pas même à la première campagne de mon Jacques, » disait-elle à un vieux prêtre devenu son hôte et son ami, après avoir été le précepteur de Jacques.

Ils allaient se séparer pour la nuit. Le vent ébranlait les cheminées et faisait craquer les boiseries. Au dehors, on entendait les arbres du jardin furieusement secoués dont les branches se brisaient.

« Chère madame, répondit le prêtre, songez que la Sémillante est un excellent bateau, fort bien commandé, qui doit être aujourd’hui hors des atteintes de cette tempête, très probablement dans l’Archipel, et naviguant sur une mer unie. Mais je n’en irai pas moins à Toulon demain matin, et, de retour ici pour le dîner, je vous apporterai des nouvelles.

— Merci, monsieur l’abbé, vous êtes très bon. Adieu. Prions tous deux pour le cher absent.

— Bonne nuit, madame. Essayez de reposer et de ne plus vous inquiéter. »

Mme de Langelle sourit doucement, sachant trop bien qu’elle ne pourrait se tranquilliser avant d’avoir reçu des nouvelles. Les nuits précédentes, aussitôt couchée, elle avait fait des rêves effroyables de naufrage et de mort. Le jour dissipait ces cauchemars ; mais ils revenaient chaque nuit. Et, celle-ci, elle était résolue à la passer sur un fauteuil, à lire et à prier. Le matin même, un télégramme envoyé à Toulon était resté sans réponse. Évidemment, on ne savait rien, l’abbé l’affirmait ; néanmoins les angoisses de la mère augmentaient d’heure en heure ; ses tempes et son cœur battaient à l’étouffer.

« Madame ne se couche pas ? lui dit sa femme de chambre.

— Non, Mariette, pas tout de suite, mettez du bois au feu et allumez deux autres bougies.

— Madame est pâle, épuisée, insista Mariette, et, si madame voulait me le permettre, je m’assoirais là, sur une chaise, pour l’aider quand elle voudra se mettre au lit. Le docteur dit que madame ne se repose pas assez. Courant à ses pauvres dès après la première messe, elle use son corps.

— Ne me parlez pas des ordonnances du docteur, et allez-vous-en, ma fille ; bonne nuit, je me déshabillerai seule. »