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— Que je vous conduirais à Constantinople, s’écria le brave homme, comprenant tout d’un coup. Vous avez pensé cela, petite fée, et à vous seule ? Voyons, regardez-moi et répondez : à vous seule ?

— Mais oui, commandant.

— Eh bien, mille millions de tonnerres… ! Non, c’est vilain… mille pipes du diable ! Quelle habitude ! ça revient dans les grands moments. Enfin, bien sûr que j’irai avec vous à Constantinople, ou ailleurs ; voilà une magnifique idée, les fées en ont seules d’aussi bonnes. Quand partons-nous ? Oh ! il ne faut pas m’étouffer auparavant. »

En effet, pendant que Langelle, très ému, regardait et écoutait, Marine et Paul s’étaient jetés au cou de leur vieil ami ; ce que voyant, Stop se mit à danser en aboyant et Mademoiselle à gambader sur tous les meubles. Pluton boudait toujours et paraissait indifférent.

Enfin, on se calma et on causa des moyens pratiques pour arriver aussitôt que possible. De Marseille, bien malheureusement, le paquebot hebdomadaire partait le jour même ; il fallait donc attendre une semaine. C’était bien long.

« Mais, reprit Langelle, la Sémillante doit quitter Toulon dans deux ou trois jours, le 13 ou le 14 février ; elle fera donc escale à Constantinople avant l’arrivée du prochain paquebot. Vu les circonstances, le préfet maritime prendrait peut-être sur lui de vous accorder passage à bord de ce bateau, où, m’embarquant aussi, je pourrais vous rendre bien des petits services.

— J’appelle cela une inspiration pratique, dit Le Toullec. Pendant que je m’habille en tenue de visite, Langelle ira chez Mme de Résort, dont il nous rapportera la réponse ici. Ensuite je me rendrai auprès de l’amiral Dubourdieu, un vieux camarade, qui accédera sans doute à ma demande. »

Langelle partit en courant, et Marine essaya d’exprimer sa reconnaissance.

« Taisez-vous, petite fée, répliqua le digne homme. Croyez-vous bellement que ce n’est point un plaisir pour moi ! Au lieu de moisir à Toulon comme une vieille morue au fond d’un tonneau, je ferai un superbe voyage avec une enfant dont l’amitié et les attentions ont comblé le vieux ours mal léché que je suis. Ne parions plus de tout ça. Ah ! Marius apporte du chocolat et des tartines ; le brave garçon a pensé que vous n’aviez pas déjeuné, et moi, comme un étourneau, je ne m’en inquiétais point. »

En effet, Marine et Paul étaient sortis à jeun et ils firent grand honneur au repas improvisé.