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sonne ne parla d’abord. Après ce danger, cette mort évitée et vue de si près, on pensait aux autres luttant encore au milieu de l’ouragan. Et puis, cela ne faisait aucun doute, le Henri IV était condamné à demeurer là.

— Chez les officiers et chez les matelots, c’est toujours une chose très intime qui se brise ; en eux il se produit comme un grand déchirement lorsqu’ils voient leur bateau perdu.

Langelle rompit le silence et à voix basse s’adressant à Ferdinand : « Je sais parfaitement que nous ne sommes pas les seuls, et que, tout considéré, nous nous en tirons fort bien, grâce au commandant. Quel homme ! Jamais je n’oublierai l’expression de sa physionomie quand il ordonna cette dernière manœuvre : alors, les sourcils froncés, les narines dilatées, la main tendue, il paraissait commander aux éléments. Mais, ajouta Langelle encore plus bas, voyez-vous, Résort, c’est à en devenir superstitieux, et dorénavant je conseillerai à chacun de ne point embarquer là où je me trouverai, car depuis ma première campagne je n’en ai pas terminé une sans que la mer essayât de nous engloutir, mon bateau ou moi-même ; rappelez-vous ce qui nous arriva sur la Coquette, et par deux fois.

— Quel enfantillage ! répliqua Ferdinand ; l’extrême fatigue vous fait seule parler ainsi. Mon engagement tient toujours et, lorsque vous commanderez, je m’en irai votre second n’importe dans quel pays.

— Mon petit Résort, c’est gentil ce que vous me dites là. Oui, après la guerre nous nous en irons ensemble sur quelque grande mer, et je vous réponds qu’entre vous et moi notre bateau sera bien tenu, et les hommes aussi. Allons, me voilà complètement remonté. D’ailleurs, depuis la Coquette vous m’avez toujours fait grand bien. Je n’ai pas oublié cette matinée où tout me paraissait désagréable à bord, lorsque je vous trouvai donnant du chocolat à Stop ; nous emmènerons Stop naturellement.

— Certes, reprit Ferdinand en souriant, et nous nous procurerons un chat noir, auquel nous donnerons encore le nom de Pluton. »

À cet instant, un timonier appela Langelle, qui revint bientôt fort pâle, les yeux rouges. En l’apercevant :

« Un malheur, qu’est-ce ? demandèrent plusieurs officiers.

— Non, pas un malheur, mais une chose qui vous eût bouleversés aussi. Écoutez : Tout à l’heure, ayant à porter le cahier de service au commandant Jehenne, je frappai chez lui. Ne recevant aucune réponse, je pénétrai dans le salon, et là, messieurs, une émotion très pénible m’attendait. Croyant être seul, assis contre la fenêtre de la galerie et la tête dans ses mains, le commandant pleurait à chaudes