Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
EN CARRIOLE.

un fort accent traînard et chantant. Allais, marchais ! Y a pas son pareil de Valognes à Saint-Lô. »

Arrivé devant l’auberge, « ce cheval incomparable » daigna s’arrêter et manger environ une livre de pain noir, ensuite il but un pichet de cidre répandu dans une auge, après quoi le fermier s’en fut aussi « boire un café », sous le prétexte fallacieux de régler sa note.

« Eh bien, papa, s’écria Ferdinand, je puis dire que vous avez de la patience, et maman aussi, d’attendre ce cheval et cet homme sans vous fâcher. »

M. de Résort fumait tranquillement une cigarette ; il répondit en souriant :

« Mon chéri, ayant bien souvent habité la Normandie, ta mère et moi nous connaissons l’inutilité de tout essai tendant à changer les habitudes des naturels ; pourtant j’avoue n’avoir jamais vu les chevaux se mettre à l’unisson. »

Enfin, en s’essuyant les lèvres, le père Quoniam grimpa sur le petit siège placé à côté du marchepied.

« Allons, Pied-Blanc, s’écria-t-il, allons, t’as promis de regagner, et gare aux coupées ! t’entends… »

Pied-Blanc partit à fond de train, mais d’un trot égal, sans secousses ni arrêts brusques, prenant en biais les coupées des chemins, évitant aussi les fondrières. Le plus habile des cochers n’eût pas mieux conduit le meilleur des chevaux.

Après avoir traversé Biville, la carriole s’engagea dans une lande au sommet de laquelle se déroule un admirable panorama.

De cette hauteur on domine la grande dune qui aboutit à l’anse de Vauville. À gauche et à droite, l’horizon est borné par de hautes falaises granitiques, celles de Jobourg et de Dielette. Ces falaises descendent jusqu’à la mer en deux petits caps avancés, qui semblent avoir été jetés là, pareils à deux sentinelles destinées à borner et à arrêter le travail des dunes mouvantes.

Celles-ci ressemblent à une autre mer houleuse où l’eau serait remplacée par un sable tellement fin qu’on le dirait tamisé. Au milieu de cette poussière blanche, des herbes poussent de loin en loin, sortes de plantes grasses très hautes et d’un vert très cru.

En approchant du rivage, les dunes s’aplanissent pour devenir une longue et étroite plage de sable que les vagues déplacent et échancrent au gré des tempêtes et des marées.

Quoique la brise se fût élevée, le temps restait beau. Au large on apercevait les îles anglaises d’Aurigny et de Sark. Jersey se dressait en dernier plan. Quelques nuages flottants promenaient leurs ombres sur un point de la mer ou de la côte.

Les enfants regardent peu les paysages, cependant Ferdinand