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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

Tout à coup une poigne vigoureuse le saisit au collet, le dégage… et, brusquement tombé sur le sol, tout étourdi, il entend ces mots :

« À côté, un autre cheval ; sautez, si vous pouvez. »

L’officier comprend, arrête un cheval sans cavalier, et bientôt en selle il rejoint celui auquel il doit de vivre encore : lord Cardigan qui était maintenant derrière le reste de sa brigade, comme il galopait en front tout à l’heure, toujours le plus exposé : s’il arrive vivant, il arrivera le dernier. Et, hors d’haleine, il s’écrie :

« Tiens, c’est vous, Keith ?

— Oui, mylord, grand merci, reprend Harry d’une voix éteinte.

— Et Nolan ?

— Resté là-haut.

— Dieu ait son âme et la nôtre, s’il daigne… »

À l’instant même une volée d’obus atteint encore la malheureuse troupe ; à une centaine de mètres plus loin elle se fût trouvée hors de danger sous le feu de nos positions avancées. Un seul homme survivra-t-il parmi ceux qui accomplissent cette charge, restée légendaire, des cavaliers anglais à Balaklava ?

À environ un kilomètre des Russes, l’arme au bras, la division Bosquet attendait l’ordre de charger. Au commandement et comprenant l’importance d’une rapide attaque, le général s’adressa à l’un de ses officiers d’ordonnance :

« Allez, lui dit-il, trouver l’officier d’artillerie de ma division, et en mon nom ordonnez-lui de porter en avant sa demi-batterie, de manière à prendre en écharpe la ligne des tirailleurs ennemis, sur laquelle alors, profitant de sa surprise, je lancerai mes colonnes à l’assaut. »

L’officier, c’est Ferdinand qui répond : « Oui, mon général ; mais ensuite dois-je rester ou revenir ?

— Restez jusqu’à ce que vous ayez vu l’ordre exécuté. »

À cheval et au galop, Ferdinand atteint la batterie ; là il transmet à l’officier les ordres du général.

Cet officier, il le reconnaît : c’est le même qui avec les servants hissait une demi-batterie au-dessus d’Almatanack.

Le lieutenant comprend et exécute rapidement le plan de son chef. La batterie, déjà attelée, part au galop et s’arrête seulement à l’extrémité de la ligne des tirailleurs ennemis : «  À coups de sabre et de pistolet, déblayez le terrain ! » s’écrie l’officier, et s’adressant à Ferdinand, il ajoute :

« Vous, capitaine, allez vers la droite, où certainement l’adjudant n’a pas compris mes ordres. »