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Pas un mot à Nolan, qui rangea son cheval à côté de celui de lord Cardigan.

« Mylord, s’écria Keith en se plaçant à la gauche du dernier, mylord, si vous daignez me le permettre, je vous accompagnerai sur la colline.

— Sur la colline, my dear, je ne le pense pas ; mais tout de même merci. »

Et le sabre haut, souriant à la mort, comme il souriait à Windsor en défilant devant la reine, lord Cardigan cria en lançant son grand cheval noir au galop : « En avant le dernier des Cardigan ! »

Des hauteurs voisines, toute l’armée vit dans un tourbillon passer la cavalerie légère, son commandant toujours en tête.

Oubliant qu’il ne pouvait entendre, chacun lui criait : « Arrêtez, c’est insensé ! »

Encore au grand galop, la brigade s’engagea entre les deux mamelons qui lui cachaient la vue des ennemis ; mais alors les Russes commencèrent à tirer à coups répétés sur la troupe. Celle-ci, sabrant un régiment de Cosaques et un escadron de cavalerie, s’en allait toujours plus vite, mais déjà décimée, vers ce but, qui était Tchorgoune et la mort. Rien ne l’arrêta.

Derrière elle se reformèrent les escadrons d’abord enfoncés, puis d’autres en masses compactes l’attaquèrent par son flanc droit ou en avant. Ensuite des feux croisés convergèrent sur la brigade, qui fut bientôt enveloppée. Seulement alors : « Tournez bride, en retraite, » crie le commandant.

Mais en se retirant, il faut combattre. À coups de lances, les Russes poursuivent les Anglais dont pas un ne se débande, en ligne quand même. Les rangs bien éclaircis se resserrent, voilà tout.

Au bas de la colline, on doit traverser une plaine que balayent les canons ennemis des monts Fédioukine.

« En avant ! » crie le général.

« En avant ! répètent les officiers. Là, du secours ! »

Là-bas en effet, prête à donner la main à l’armée anglaise, se trouve la brigade Rosquet… Mais arrivera-t-elle à temps ? Et, par la position de cette plaine, le secours ne peut venir d’aucun autre point.

Les cadavres jonchent le sol, des chevaux sans maître et affolés suivent et heurtent ceux dont ils entravent la marche. Quelques-uns traînent leurs cavaliers désarçonnés, morts ou vivants. C’est effroyable. Et il ne faut pas songer à ralentir ce galop désordonné.

Un officier se débat vainement ; accroché par une main à la crinière de son cheval, il essaye de dégager son pied pris dans un étrier, l’autre étrier est tombé, la selle a tourné… et il sent que c’est fini…