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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

Sébastopol était là au bord d’un bassin profond et large, sans écueils, à l’abri de toutes les tempêtes.

Le général du génie Totleben combina les défenses de la place assiégée, qu’il hérissa de fortifications, au nord, à l’est, sur le mont Sapoune et aux sommets de tous les plateaux comme à l’entrée des ravins de la Tchernaïa et du faubourg Karabelnaïa. Le grand Redan, le grand Bastion, le bastion du Mât et enfin la tour Malakoff formèrent à la ville une ceinture tous les jours plus puissante. De leur côté, entre chaque sortie, entre chaque attaque, les armées alliées resserrèrent leurs lignes de circonvallation, leurs tranchées, leurs batteries et leurs contreforts.

Le 9 octobre, une première ligne de circonvallation était creusée et le corps du génie ouvrait la première tranchée, à 800 mètres de la ligne assiégée. Ces tranchées, quel labeur dangereux et ingrat ! Il ne devait jamais être interrompu jusqu’à la prise de Sébastopol. Dans l’obscurité, hors des excitations du combat, exposés au feu des bombes lancées au hasard par les assiégés, trois mille soldats travaillèrent aux tranchées sans une nuit d’interruption pendant onze mois.

Le 16, nous étions prêts, nos batteries en ligne.

L’attaque des alliés devait être simultanée. Connaissant les formidables travaux des Russes, les généraux en chef s’attendaient à une défense désespérée. Mais depuis la victoire de l’Alma pas un soldat, pas un officier, ne doutait du succès définitif.

Dès l’aube et pendant quatre heures, trois cents bouches à feu vomirent leurs boulets et leurs obus.

À midi, nos généraux arrêtèrent l’attaque, car l’artillerie française avait une position détestable sur le mont Rodolphe enfilé par les canons russes.

Au contraire, sur la montagne Verte, l’armée anglaise dominait la tour Malakoff. Le grand Redan sauta à une heure. Les Anglais eussent pu y entrer, mais pouvaient-ils s’y maintenir ? Lord Raglan ne le crut pas ; il jugea au contraire qu’une fois là il serait exposé à recevoir le choc de toute l’artillerie de campagne des Russes. Il ordonna donc à ses troupes de se replier.

En somme, l’avantage resta à l’ennemi, malgré les pertes qu’il avait subies. La tour Malakoff réparée devint plus solide qu’avant l’attaque, et le grand Redan fut réédifié en deux jours.

L’armée assiégée sentit son courage grandir. Officiers et soldats répétèrent les mots que venait de prononcer l’amiral Korniloff tué au grand Redan : « Vive l’empereur et la sainte Russie ! Ne rendez jamais Sébastopol ! »

Vingt-sept vaisseaux tirèrent plus longtemps sur le fort Constantin