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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

mois plus tard, le Berthollet devait ramener dans ce même port de la Joliette les restes du vainqueur de l’Alma.

Malgré son insalubrité, Gallipoli avait été choisie pour première base des opérations stratégiques, parce que, placée à l’extrémité orientale des Dardanelles, cette ville donnait aux belligérants la clef de Constantinople et d’Andrinople.

Aussitôt débarqué et déjà miné par la fièvre, le maréchal de Saint-Arnaud courut de Constantinople à Gallipoli, de Gallipoli à Varna, de Varna à Bourgas, pour rassembler ses légions et organiser la marche du premier corps d’armée. Enfin, précédant les Anglais, le gros des troupes atteignit Varna, ayant fait le trajet soit directement par mer depuis Gallipoli, soit par Constantinople en franchissant les Balkans.

Cependant, autour de Varna, les camps se formaient ; chaque jour les navires débarquaient hommes et chevaux, et la marine montra dès lors tout ce qu’on pouvait attendre d’elle. Les deux escadres étaient mouillées devant la ville, le vice-amiral Hamelin les commandait en chef avec le vice-amiral Bruat en sous-ordre.

Malgré tout le zèle des commandants, des officiers et des matelots, les moyens de transport furent bien imparfaits pendant cette année 1854, car les bâtiments à vapeur étaient encore en très petit nombre et, pendant que l’on embarquait les hommes sur les premiers, il fallait mettre matériel, chevaux, vivres, etc., sur les voiliers que leurs remorqueurs se trouvaient souvent obligés d’abandonner à cause du mauvais temps.

Tout à coup on apprit que, soit de Gallipoli et par Constantinople, ou de Malte au Pirée, le choléra s’avançait vers cette agglomération d’hommes déjà fatigués au milieu d’un été brûlant. Au camp de Varna d’abord, quelques victimes succombèrent ; les médecins militaires voulurent attribuer leur mort à différentes causes. On comprenait à quel point la terreur inspirée par le fléau en augmentait l’intensité et on espérait enrayer le mal à son début, et puis on redoutait l’effet que produirait en France l’annonce de l’épidémie.

Le 19 juillet, un ordre du jour annonçait que les opérations allaient se porter dans la Dobroudja pour appuyer la reconnaissance d’une division française commandée par le général Espinasse. La Dobroudja, restée tristement célèbre et qu’avaient envahie les Russes, est une contrée marécageuse de la Roumanie qui, au nord de Varna, longe la mer Noire depuis la branche la plus méridionale du Danube. Parmi les troupes du général Espinasse, il y eut bientôt neuf cents malades, et le premier corps d’armée fut littéralement foudroyé. Dans la division Canrobert, deux mille cinq cent soixante