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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

tueusement accueilli par la famille entière, Le Toullec aima bientôt la mère et les enfants de tout son cœur.

« Jamais, disait-il à son ex-aspirant, jamais je n’aurais cru qu’on pût être aimable comme le sont votre mère et votre sœur. Et Paul aussi, quel charmant garçon ! Durant votre absence, Résort, si, chose peu probable, quelqu’un des vôtres avait besoin de moi, je serais là, vous savez, et tout prêt. »

Le jour du départ de l’escadre, Le Toullec jugea que, même si elle acceptait son dîner à contre-cœur, Mme de Résort en serait forcément distraite. Lui et ses hôtes arrivèrent donc au Mourillon. Marius les attendait, ayant mis un couvert superbe « toutes voiles dehors », et avec des provisions pour plus de vingt personnes. En faction au bas de l’escalier, Mademoiselle caressa les nouveaux venus. Elle faisait la joie de Paul, cette petite guenon, toujours restée la même depuis la Coquette, capricieuse, fantasque, coupable de cent espiègleries, mais douce et affectueuse, très propre aussi, qualité rare chez les singes. Son maître et Marius la gâtaient à l’envi ; ils la promenaient souvent par la ville, et lorsque, sa main dans celle de Le Toullec, elle traversait le Champ de Bataille, les bons Toulonnais faisaient mille plaisanteries sur « lou papa et sa damizelle », ainsi qu’ils disaient en provençal.

Pluton vint aussi se frotter contre les jambes de Paul ; un peu engraissé, son poil noir bien brillant, ses yeux verts aussi étincelants, l’angora avait oublié son ancienne aversion, et à présent que Stop ne l’excitait plus, il ne dédaignait pas une partie de cache-cache avec la guenon.

En entrant dans le petit salon gai et fleuri, Mme de Résort s’approcha d’une fenêtre ouverte. De cette place, on apercevait la mer, et la vue s’étendait au loin.

Après ce grand mouvement de tout à l’heure, la rade paraissait triste et déserte. Au large, quelques barques de pêche, deux ou trois bricks de commerce, et les bateaux-pilotes rentrant au port. Il semblait qu’on eût rêvé d’une magnifique escadre, défilant en ligne aux acclamations d’une foule à présent évanouie, elle aussi !

Cette escadre de l’Océan formée à Brest, l’une des plus considérables qu’on eût réunies depuis longtemps, était bien réellement partie tout à l’heure. Chargée de troupes et de matériel, elle se rendait en Orient, car la guerre venait d’être déclarée à la Russie.

Pour soutenir l’Empire Ottoman, deux vieilles ennemies, la France et l’Angleterre, avaient ordonné à leurs flottes combinées de se rencontrer dans les Dardanelles.

… Je risquerais peut-être de fatiguer mes jeunes lecteurs en