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Paul restait muet, de grosses larmes tombaient sur ses joues sans qu’il les essuyât ; il pensait : « Si j’étais plus grand, j’accompagnerais papa ou Ferdinand. » Cependant il remarqua bientôt la figure décomposée de sa mère, et alors, saisi d’un remords, il mêla ses instances à celles de sa sœur, et devinant aussi quels arguments il fallait employer :

« J’ai bien froid, dit-il, petite mère, ne voudriez-vous pas rentrer ? Marine grelotte et mes pieds sont presque gelés. »

Sans répondre, Mme de Résort prit le bras du commandant Le Toullec, et tous se dirigèrent vers le Mourillon.

« Ah ! madame, s’écria Le Toullec, c’est diablement dur, et quoique je sois une espèce de loup de mer, sans esprit ni manières, et un vieux garçon égoïste, je vous assure que je pleurerais volontiers avec vous si mes yeux savaient encore pleurer. Oui, chère madame, continua le brave homme, essayant par son bavardage de distraire la pensée de sa compagne, oui, mille pipes du diable…, pardon, une habitude invétérée ! je comprends votre douleur, en embarquant, dans l’espace de quinze jours, un mari et un fils, l’un pour la Baltique, l’autre pour l’Orient… Et c’est bien cruel aussi, allez, à un ancien officier encore vigoureux et qui voudrait mourir à la bataille, de rester ici comme un misérable cachalot échoué sur un banc de corail. »

Et le pauvre homme soupirait en se remémorant les démarches qu’il venait de tenter afin d’être autorisé à reprendre du service actif. Le ministre de la marine l’avait reçu poliment et éconduit de même. Le Toullec pensait encore avec colère aux offres du chef d’état-major, un ancien camarade cependant, un amiral, lui, qui avait eu « des chances » :

« Mon vieux Le Toullec, je le déplore, crois-moi, lui avait dit celui-ci, mais les règlements sont inexorables ; cependant tu pourrais encore rendre bien des services. Veux-tu que je te fasse obtenir un poste à terre ? Ou bien accepterais-tu de commander un des bâtiments de commerce que le gouvernement nolisera bientôt ? Ces commandements seront assez lucratifs, et avec ta retraite… »

Lucratifs ! Un officier de commerce ! Pour qui le prenait-on ? Et le digne homme refusa, outré, jurant, sacrant et malmenant le chef d’état-major. Revenu à Toulon, pendant quelques jours il raconta sa mésaventure à tous les commensaux du café de la Marine. Ensuite il assista, navré, au départ de ses camarades et de tant de jeunes officiers.

Parmi les derniers, Ferdinand de Résort sut dire de bonnes paroles à son ancien commandant. Présenté à Mme de Résort, affec-