Page:Nanteuil, L’épave mystérieuse, 1891.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des lames entrèrent par le sabord, comme pour venir au-devant de ce qu’on allait leur donner. Non, les plus vieux marins ne se rappelaient rien d’aussi lamentable ! Cela recommença trois fois en un quart d’heure, et tous les hommes présents se disaient : «  À quand notre tour ? » en répondant aux prières récitées par le lieutenant avant l’immersion des cadavres.

Ferdinand était là, le cœur serré ; lui aussi, il croyait ne plus revoir ses parents. Désolé à ce spectacle, il pensait de bonne foi que, s’il survivait, il ne l’oublierait jamais. Le dernier dont la dépouille venait de disparaître, un deuxième maître, avait accroché l’aspirant de corvée au moment où une lame l’entraînait après avoir balayé le gaillard d’avant. Et, deux heures à peine écoulées, des matelots emportaient le second maître, blessé par un boulet, dans cet hôpital déjà encombré, où Ferdinand venait à chaque instant, essayant alors de soulager son sauveur, que le tétanos enleva cependant. Le pauvre homme mourut courageusement en pleine connaissance. À l’heure suprême, il dit à Ferdinand : « Merci, capitaine, et que Dieu vous récompense ! Au retour, voulez-vous aller au pays, à Paimpol, demander ma vieille mère ? Vous la saluerez de la part de son fils, Kerhello (Jean-Marie), et vous lui direz : Votre fils est mort chrétiennement, sans prêtre, puisqu’il n’y en avait point sur la Coquette, mais en se jetant dans la miséricorde de Dieu, et il a pensé à vous. »

Après la tempête, Ferdinand se disait : « Non, ces tristesses ne s’effaceront pas. Comment mes camarades peuvent-ils se réjouir et parler sans cesse des plaisirs promis à Valparaiso ?… »

Là cependant il rit et oublia comme les autres. S’ils ne savaient oublier et profiter des beaux jours et des belles relâches, les marins ne pourraient étaler leur dure vie.