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monsieur, si vous croyez voir en moi la fille de votre fils, n’est-il pas bien amer pour cette fille que vous la laissiez partir sans une bénédiction de son grand-père ? »

À ces dernières paroles, comme galvanisé, M. d’Almeira se redressa, repoussa son fauteuil, et, pendant que les larmes coulaient, sur ses joues ridées, il ouvrit la bouche, et, les deux mains posées sur la tête blonde inclinée devant lui :

« Ma… ma…, » balbutia-t-il. Puis tout à coup retombant sur son siège, il fut saisi d’une attaque de nerfs.

M. de Résort et ses enfants voulurent aller à son aide ; mais, aux cris de la nièce, des serviteurs étaient accourus qui, repoussant les étrangers, entourèrent le malade et l’emportèrent dans une chambre voisine.

Pendant plusieurs minutes on entendit les gémissements étouffés du vieillard. Marine sanglotait. M. de Résort, très ému et fort indécis, se demandait s’il fallait rester davantage.

Enfin la nièce reparut, l’air furieux : « Vous voulez donc tuer mon oncle ? s’écria-t-elle ; vraiment, la comédie que vous jouez est indigne, pire qu’indigne pour être jouée par des officiers français.

— Madame, répliqua Ferdinand, je vous prie de nous envoyer dire cela par monsieur votre fils.

— Voulez-vous donc provoquer mon enfant, afin de le tuer ensuite ?… Au secours ! À l’assassin ! » criait la dame en montrant les poings.

Des domestiques entraient… La scène menaçait de mal tourner et elle était fort ridicule en tout cas, et M. de Résort jugea prudent de la terminer.

« Nous partons, dit-il, mais en réservant tous les droits de celle que j’affirme être Mlle d’Almeira ; vous entendez ? ajouta-t-il en s’adressant aux gens du comte ; voici la fille du fils de votre maître, et voilà madame qui, chez son oncle, nous a sottement insultés. Allons, laissez-nous passer ; faudra-t-il donc dégainer ? »

Ceci s’adressait à deux ou trois serviteurs, qui, sur l’ordre de leur maîtresse, barraient la porte d’entrée ; mais, en apercevant le geste de M. de Résort et les épées du père et du fils à moitié sorties du fourreau, tous se sauvèrent…

Les issues laissées libres, les trois visiteurs s’en allèrent tranquillement et sans presser le pas.

Marine était bouleversée ; toute la journée elle ne cessa de répéter :

« Il voulait me bénir, pauvre homme, il pleurait, il tendait les bras… »

Oui, pauvre homme ! Et ensuite, malgré l’intervention de plu-