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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

L’aspect de M. d’Almeira rappela à Ferdinand un personnage des Contes de Perrault, « si vieux, si cassé, qu’on ne pouvait l’être davantage. » Les yeux éteints, la peau collée sur les os, il grelottait malgré une chaleur intense. À côté de lui se trouvait une dame fort parée, trop grasse, qui avait dû être belle, et, auprès de celle-ci, un jeune homme, son fils, à en juger par la ressemblance : tous deux possédaient la même physionomie rusée et mauvaise.

La conversation, commencée en un détestable français, se continua en espagnol, langue que M. de Résort parlait et comprenait mieux que la dame, qui s’exprimait avec des locutions et l’accent des créoles portugaises.

Ayant répondu aux compliments d’usage, la nièce prit la parole, en embrouillant son discours de phrases inutiles, mais qui toutes avaient la même signification : « Vous affirmez, disait-elle, vous assurez, monsieur, que cette jeune, charmante, jolie demoiselle est la petite-fille de mon oncle vénéré ; cet oncle, bien trop ému pour vous répondre lui-même, nous a chargés de vous exprimer ses désirs et sa suprême résolution. Il est disposé à reconnaître en cette aimable demoiselle sa petite-fille Mlle Juana d’Almeira et à déclarer celle-ci l’unique héritière de ses biens et de son nom ; il croit d’ailleurs à votre bonne foi, monsieur, ayant la conviction que vous êtes persuadé des faits avancés par vous ; mais il nous faut, je veux dire il faut à mon oncle, des preuves, des écrits, corroborant vos assertions, et vous n’en produisez qu’un : la copie de l’acte de mariage contracté entre mon cousin Juan et Mlle Louisa Ravel. De ce mariage personne n’eut jamais un doute. Ai-je bien parlé, mon oncle vénéré ? » ajouta-t-elle en s’adressant à M. d’Almeira, qui, muet, immobile, ressemblait à une momie. Les yeux seuls, brillants, agités, vivaient et exprimaient mille sentiments contraires, la crainte, la joie, le désir, l’émotion, le doute.

Malgré leurs paupières rougies, ces yeux rappelaient encore ceux de Marine, et les sourcils blancs offraient le même arc régulier et bien tracé.

Alors, sans écouter la dame qui poussait des cris de paon et le jeune homme qui invoquait tous les saints patrons du Brésil, Marine, quittant sa place, vint s’agenouiller devant le vieillard en disant :

« Monsieur, au nom de tout ce que vous avez aimé, ne nous laissez pas dans l’incertitude. Je prends Dieu à témoin que je ne désire point votre fortune et non plus un nom auquel je n’aurais aucun droit ! mon cœur se déchirerait aussi s’il me fallait vivre loin de ceux qui m’ont recueillie et aimée ; mais n’est-il pas bien cruel,