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DOUBLE SAUVETAGE.

satisfait, ajoutant à mi-voix : « Ça ne sera pas volé, car le matelot pourrait gâter l’esprit des hommes de sa bordée. »

Conduit au cachot et mis aux fers, Thomy vit encore sa peine doublée pour avoir battu et injurié les hommes qui l’emmenaient à fond de cale ; ensuite il passa quinze jours encore en prison parce qu’il avait adressé directement et sans la faire passer hiérarchiquement une réclamation écrite au commandant à propos des injustices dont on l’accablait.

De ce côté-là les prévisions de M. de Résort se réalisaient également à bord de la Coquette. Thomy était le plus mauvais comme le plus indiscipliné des matelots.

Vaniteux, sot et menteur, le petit héritage du berger ne lui servait qu’à faire des folies et aussi à éblouir ses camarades, auxquels il racontait cent bourdes. Tantôt il se disait le fils d’un homme riche et titré, qui l’avait embarqué pour le punir d’avoir mené trop grand train à Paris. À d’autres il confiait, sous le sceau du secret, qu’il était le frère aîné de « Résort » et que leur mère à tous deux, remariée au comte de Résort, tremblait devant son second mari ; ce dernier, à force de mauvais traitements, l’avait obligé à s’engager dans la marine, où il serait déjà officier si auprès des amiraux son beau-père ne se trouvait toujours au dernier moment pour faire biffer d’une promotion le nom de celui qu’il poursuivait d’une haine implacable. Cependant la malheureuse comtesse de Résort vendait ses joyaux, afin que son fils ne manquât de rien. Au contraire elle n’envoyait aucun cadeau à Résort, qu’elle n’aimait pas. Un jour lui, Thomy, et par une grand’tante, il toucherait un gros héritage, et alors il se vengerait de ces Résort, etc. Quelques matelots ajoutaient foi à ces histoires, d’autres en riaient, mais ils profitèrent tous des largesses que Thomy fit à la Martinique aux hommes de sa bordée ; là des cabarets vidèrent plus d’à moitié les poches du filleu, de Thomas le berger.

Quant aux quartiers-maîtres et aux maîtres, ils prirent promptement en aversion le mauvais gabier, qui leur rendait la tâche difficile et soufflait un esprit de révolte à bord, les matelots étant tous plus ou moins semblables à des enfants et prêts à subir une bonne comme une mauvaise influence.

Vis-à-vis de Ferdinand, son ancien camarade de jeux, Thomy se montrait tantôt très insolent, tantôt trop familier. D’abord, l’aspirant essaya de prendre quelque influence sur le jeune matelot, le raisonnant, le sauvant aussi de maintes punitions méritées, toujours ému lorsque le dernier l’implorait au nom de « Mme de Résort, sa bonne protectrice » ; mais, un jour, le hasard l’ayant rendu témoin