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JACQUES DE LANGELLE.

— Très contents, répondit un des aspirants, très contents, et de nous retrouver ensemble ; nous craignions si fort de nous séparer après la Minerve. Pensez, lieutenant, au Borda nous étions à la même table ; dans l’Inde, embarqués sur l’Iéna. Alors, encore trois ans sans nous quitter, c’est gentil ! et en perspective, cette campagne du Pacifique, les belles relâches dans l’Amérique espagnole, San-Francisco aussi, et Taïti dont on nous a tant raconté d’histoires charmantes… Seulement, il y a la lampe !

— Quelle lampe ?

— Une lampe qu’un fournisseur nous a vantée à Brest ; elle ne peut jamais éclairer sans fumer, les verres cassent.

— Oui, sans la lampe, tout serait parfait, continua un autre en riant, et vraiment une seule petite chose de travers, ce n’est guère.

— Certes, messieurs, et je voudrais pouvoir en dire autant. Au revoir.

— Au revoir, lieutenant.

— Viens-tu, Stop ? ajouta M. de Langelle ; viens-tu au carré ? »

Mais, tout en agitant sa queue, Stop refusa de quitter l’étroit divan et ses nouveaux amis. Son maître alors n’insista pas.

« Et, pensait ce dernier en retournant à sa besogne, je comprends Stop de préférer de jeunes visages et la bonne humeur de ces enfants à l’atmosphère du carré. Mais je suis curieux de savoir comment Résort changera les sentiments et les instincts du chien et du chat. »

Pendant toute la durée de la tempête et quoiqu’il fût rétabli, Stop ne quitta pas le poste, où Langelle le visitait chaque jour ; chaque jour le lévrier lui donnait le spectacle d’un tour d’adresse nouvellement appris et qu’il avait retenu : tantôt il assemblait des dominos dans un ordre indiqué ; tantôt, au commandement, il marchait « à la façon du commissaire », en traînant légèrement la patte droite tout en jetant sa tête en arrière ; ou encore si on lui disait : «  Comment le docteur joue-t-il de la flûte ? » Stop hurlait sur une note élevée aiguë.

Aussitôt le temps devenu maniable, Ferdinand conduisit le lévrier en laisse sur le pont, en vue, mais non pas à la portée de Pluton. L’un gronda, l’autre aboya, tous deux le poil hérissé, l’œil en feu. Même manœuvre le lendemain, où cependant l’aversion parut diminuer d’intensité. Alors Ferdinand donna au chien quelques morceaux de sucre et de biscuit, et au chat les reliefs d’un poulet. Petit à petit, les deux ennemis en vinrent à manger leurs friandises côte à côte, attendant aussi avec impatience ces rencontres toujours terminées par des choses délectables.