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LE COMMANDANT LE TOULLEC.

— Vous préférez rester encore auprès de moi, répondit l’amiral d’un air charmé.

— Non, amiral, j’aimerais en effet beaucoup à ne point vous quitter, parce que vous êtes la perle des chefs ; mais j’ai besoin de naviguer pour des raisons majeures, et cette campagne promet d’être intéressante, curieuse même à plusieurs points de vue. J’accepte donc, amiral. » Alors, se tournant de mon côté, il me tendit la main, une main de petite-maîtresse, en ajoutant : « Commandant, je suis votre homme. »

« Moi, continua Le Toullec, je n’avais qu’à boire ma sottise et je me suis retiré furieux, surtout après avoir vu le préfet taper amicalement sur l’épaule de ce pingouin, en lui disant : Très bien, Langelle, vous avez toute mon estime. — Comprenez-vous une chose pareille ? Qu’un vice-amiral ayant fait la guerre, l’expédition d’Alger et tout le tremblement assure de son estime un espèce de Parisien ! Et pourquoi ? simplement parce que cet oiseau veut bien devenir second de la Coquette ! »

« Ensuite, continua M. de Résort, je tentai de raisonner Le Toullec, voulant lui démontrer que son lieutenant est un bon officier, fort intelligent et dont l’air affecté ne prouve rien du tout. Quant à ce malheureux lorgnon, il fallait plaindre l’officier myope au lieu de le blâmer, car la myopie est une infirmité bien gênante pour un marin ; mes raisonnements calmèrent un peu le brave homme. Cependant, au fond, je demeure très peu satisfait, car tous les deux vont s’entendre aussi mal que possible, et je ne leur donne pas quinze jours pour être à couteaux tirés. Langelle s’imagine rencontrer simplement en Le Toullec un type amusant : il sera vite agacé des manies et des jurons de son commandant, qu’il raillera poliment et sans pitié. S’il y a conflit, les jeunes gens prendront le parti du lieutenant ; bientôt, les longues traversées, les privations aidant, les caractères s’aigriront et le bateau deviendra un enfer.

— Bon, j’aurai patience, et je suivrai vos avis, mon père, répliqua Ferdinand. Mais M. de Langelle ne naviguait-il pas avec vous sur le Neptune ?

— Oui, c’est celui-là même que nous retrouvâmes accroché à une bouée dans le Pacifique. Depuis lors, il s’en va répétant à tout propos qu’il me doit la vie. Il la doit à la Providence et à sa bonne étoile ; pourtant, j’en suis certain, Langelle sera très aimable pour toi, Ferdinand, si tu le satisfais quant au service ; car c’est un excellent marin, mais très strict et à cheval sur la discipline. Il fera le meilleur des seconds, je te réponds que son bateau sera bien tenu et l’équipage promptement discipliné.