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jeunesse, on prononçait souvent deux et même trois discours sur la tombe des officiers ; mais jamais, au grand jamais, sur celle d’un sorcier. »

Et l’autre de répondre :

« Vous avez cent fois raison, mame Lécesteur, cent fois, mille fois même. Les temps sont bien extraordinaires ! Et rappelez-vous l’an dernier lorsque le gros boucher de Beaumont est décédé, vous savez, celui qui battait sa femme et ses filles dès qu’il avait bu, et ça lui arrivait tous les jours de marché, eh bien, on s’attendait, comme il était le plus riche de la commune et qu’il avait laissé une grosse somme à la fabrique, on s’attendait à un discours de M. le curé doyen du canton. Ah ben, marchais ! pas un traître mot ; j’y étais, et vous me croirez si vous voulez ! Et aujourd’hui un quart d’heure d’éloges que notre curé nous a forcés d’entendre, et que les gens du Pin écoutaient bouche bée, sur un enfant trouvé qu’était devenu sorcier…

— Ah ! oui, mame Raitinville, les temps d’aujourd’hui, on peut dire qu’y sont des drôles de temps !… »

Reverrons-nous ce coin de Normandie ? Nos héros vont le quitter pour plus longtemps qu’ils ne se l’imaginent… Ferdinand part demain pour Brest ; fera-t-il cette belle campagne dans le Levant, rêve doré de tous les jeunes officiers ? Thomy deviendra-t-il meilleur ? De cela je doute fort, car pendant les funérailles de celui qui l’avait aimé jusqu’à sa mort, le jeune homme ne pensait qu’à suivre de vilaines pensées, enviant Marine et Ferdinand, comme autrefois, furieux aussi contre M. de Résort, qui, le matin même, lui avait refusé son aide pour obtenir un long congé. Avec ses mauvaises notes et sans appui il n’y réussirait pas tout seul ; alors, à quoi lui serviraient ces quelques méchants billets de mille francs laissés par son parrain ?… Seule son ancienne protectrice ne lui inspirait pas de mauvais sentiments, mais pourquoi ne l’aidait-elle-pas ? Et ces conseils qu’elle lui donnait, pouvait-il les suivre ? Non, certainement.

La veille de son départ, avec l’aide de Charlot, Ferdinand ensevelit Pastoures dans le jardin du manoir ; là une large pierre blanche avait déjà été posée, bien propre et cachée au milieu d’un massif de jeunes chênes ; cette pierre recouvrait les restes de Frisette, la caniche gris de ter, morte de vieillesse depuis plusieurs années. Après les funérailles du berger, Pastoures disparut subitement de la terme des Pins où le père Quoniam l’avait emmené en disant : « P’t-être bien que Piedblancy saura consoler son ancien camarade. »

Mais Pastoures ne voulut même pas s’approcher du petit cheval, il ne s’arrêtait pas de hurler et puis il se sauva.

Enfin par le successeur de Thomas on connut le sort du pauvre ani-