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AU LAC CLAIR

comme une bénédiction. Les lourds crachats tombent sur le parquet en gaules et s’écrasent comme des prunes trop mûres, entre les pièces usées avec les bottes des hommes, jaunies par l’urine des chevaux.

Les poissons, là-bas, se montrent plus nombreux. Je m’écrie :

— À la pêche, ce soir, père Manzar ?

— Çartin que oui. Le vent va timber et vis-à-vis la Pointe de Roche j’ai ane vraie cachette. Le lac Clair est ben poissonneux, mais y faut trouver les trous… et j’sus un peu là…

Content, j’aide au bonhomme et m’accroche au souffleur.

À cinq heures, le cuisinier Désiré Desrochers, de Saint-Damien, frappe sur un triangle en fonte, avec une énorme fourchette à viande, et appelle ainsi au souper les rares habitants du dépôt. C’est l’Angelus de la forêt, doux comme des Ave.

Chacun se lave au bord du lac, à pleines mains. L’eau inonde les faces et retombe, en perles grasses, sur le sable roux. Des canards sauvages continuent à plonger, sachant bien que les humbles travailleurs sont des amis. On court à la cuisine. La table, recouverte d’un tapis en toile cirée blanche, offre ses mets délicieux : haricots au lard cuits sous la cendre ; pains sortant