Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
381
excursion à sardlok et kangek.

oiseaux sont particulièrement abondants, mais là le courant rend la chasse difficile. À mon avis, c’est néanmoins un des exercices les plus amusants que l’on puisse exécuter en kayak.

Un grand nombre d’habitants de Kangek sont très adroits dans cette chasse. J’en ai vu par de hautes mers abattre plusieurs oiseaux isolés. À différentes reprises j’allai faire de longues excursions en mer avec un pêcheur du nom de Kangek ; il tirait très bien et à sa grande satisfaction je devins bientôt son digne émule. Un jour nous étions à la mer, lorsque j’aperçus deux eiders arrivant sur nous. Ils étaient hors de ma portée et immédiatement je fis signe à mon compagnon. Le bonhomme laissa passer les oiseaux et ne tira que lorsque les volatiles furent en ligne. Les deux oiseaux tombèrent. Quelques instants après il recommença le même exploit ; j’ai vu abattre ainsi trois canards du même coup. Les Eskimos se servent seulement de fusils à baguette ; ils y mettent de grosses charges de poudre et peuvent ainsi tirer à des distances énormes. Souvent j’ai vu des indigènes tuer des oiseaux qui pour mon arme me semblaient hors de portée. Inutile d’ajouter qu’il n’est pas précisément facile de charger ces armes en kayak.

Les Eskimos tuent encore les oiseaux en leur lançant une fouène, exercice encore plus difficile dans lequel les gens de Kangek sont passés maîtres. C’est plaisir de les voir décocher ces flèches d’un vigoureux coup de levier, comme si elles recevaient l’impulsion d’un arc, et frapper les oiseaux à une très grande distance. Avec ces engins, certains Eskimos atteignent des oiseaux au vol. Les gens de Kangek se servent de cette arme pour chasser le guillemot. Ils partent munis de deux ou trois flèches, et en novembre ou décembre, époque à laquelle ces oiseaux sont surtout abondants, ils en tuent de 60 à 70 dans la journée. Ces armes ont l’avantage sur le fusil de ne pas effrayer les palmipèdes.

Pendant mon séjour à Kangek, la chasse au guillemot ne donna que de mauvais résultats. Le soleil était alors trop élevé, disaient les indigènes, et celle circonstance rendait les oiseaux particulièrement sauvages. Néanmoins les chasseurs revenaient toujours avec un butin d’une vingtaine de pièces, et cela dans une seule matinée, avec un morceau de bois armé d’une pointe en os pour toute arme.