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a travers le grönland.

des lagopèdes, très abondants dans cette région, supposions-nous.

Le déjeuner avalé, chacun de nous part dans une direction différente.

J’escaladai des monticules rocheux à l’est du campement, où je pensai trouver des lagopèdes. La marche était très pénible sur un terrain aussi accidenté, et nulle part trace de gibier ; finalement j’arrivai sur une colline d’où la vue s’étendait jusqu’à l’inlandsis. Dans ce désert, pas un bruit : un silence immense remplit cette solitude. De tous côtés s’élèvent de hautes montagnes neigeuses coupées par la nappe foncée du fjord. Pas un bois, pas un arbre, pas la plus petite plante, et cependant le paysage est beau, éclairé par une douce lumière.

J’arrive bientôt près d’un marais devant un monceau d’éboulis étendu à la base d’un escarpement. Tout à coup un bruit frappe mes oreilles : peut-être est-ce un renne ; j’examine attentivement le terrain, mais rien ne paraît. Je poursuis ma route et de nouveau le bruit se fait entendre, il semble qu’on remue les pierres du clapier[1]. J’examine les environs et bientôt j’aperçois là-haut Balto. Il traversait une pente de neige inclinée et avançait avec les plus grandes précautions, pas à pas, appuyé solidement sur son bâton. Tout à coup Balto glisse, il fait un effort pour reprendre son équilibre, mais en vain ; il dégringole à toute vitesse la pente. Un instant une pointe de rocher l’arrête, puis de nouveau il culbute et tombe comme une masse inerte au bas de la montagne. Je croyais notre camarade tué ; à mon grand étonnement, il se relève prestement. Quelque temps après j’entends un coup de feu et vois une compagnie de lagopèdes s’abattre dans un clapier. Immédiatement je me dirige de ce côté ; les oiseaux se tiennent pelotonnés dans la neige, et à mon approche ne témoignent aucune frayeur. Je réussis à en tuer plusieurs, puis toute la bande s’envole du côté de Balto. Dès que notre camarade voit les lagopèdes près de lui, il s’en approche avec précaution, en se dissimulant derrière les pierres, puis, choisissant une victime, lâche son coup de feu. Plusieurs fois il recommence la même manœuvre et, en peu de temps, réussit

  1. Terme emprunté au patois des Alpes et désignant un monceau de pierres éboulées. (Note du traducteur.)