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a la chasse sur les bords de l’ameralikfjord.

Nous atteignons un lac ; là les traces reviennent en arrière ; nous continuons néanmoins à avancer, puis nous nous rafraîchissons dans la rivière, au risque de culbuter dedans, la tête la première. Nous gravissions un monticule, lorsque je vois Joël baisser soudain la tête et lever le bras dans la direction de l’est en disant : « Tutgut » (des rennes). Nous revenons en arrière pour nous cacher derrière le monticule et immédiatement je revêts une blouse et un pantalon en toile blanche que j’avais fait confectionner pour cette chasse. En me voyant procéder à ce travestissement, la figure de mon compagnon exprimait le plus profond étonnement. De suite il reconnut l’avantage de ce costume et m’engagea à prendre les devants pendant qu’il suivrait.

Pour pouvoir tirer rapidement un second coup avec son fusil se chargeant par la gueule, Joël met une balle dans sa bouche. C’est une idée très ingénieuse, et sans penser au froid, je place une cartouche entre mes lèvres ; mais aussitôt je sens une brûlure, ma langue est devenue adhérente à la douille ; immédiatement je là retire, mais en arrachant un morceau de chair. La douleur fut atroce, toutefois ce n’est pas le moment de nous arrêter, et nous avançons avec précaution.

Il n’est pas facile de marcher sans attirer l’attention du gibier lorsque à chaque pas on enfonce dans la neige jusqu’à la ceinture, au milieu de pierres éboulées. Pour pouvoir ramper, nous avions dû abandonner les ski. Grâce à mon revêtement blanc, les rennes ne nous remarquaient pas et la neige amortissait le bruit de la marche. Derrière moi le petit Joël se tenait parfaitement caché.

Arrivés au sommet d’un monticule, nous découvrons dans une plaine tout un troupeau de rennes. Ils sont encore hors de portée. Aucun mouvement de terrain ne pouvant masquer notre marche dans cette direction, nous ballons en retraite pour faire route dans l’est.

De ce côté, nous avançons rapidement, dissimulés par des monticules. À ce moment s’élève un souffle de vent, Joël observe aussitôt de quel côté vient la brise. En même temps apparaît droit devant nous un jeune renne dont nous ne soupçonnions pas la présence. De suite nous nous accroupissons, mais, soit par curiosité, soit parce