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a travers le grönland.

chons contre le vent à travers un chasse-neige. » Le 9, dans l’après-midi, la neige commence à tomber,’nous avançons avec plus de difficulté encore qu’hier. Il ne serait certainement pas plus aisé de haler des traîneaux sur de l’argile bleue que sur cette maudite neige.

« Pour faire avancer les véhicules nous sommes obligés de les tirer de toutes nos forces ; Sverdrup et moi, qui marchons en tête, sommes exténués ; les autres suivent la piste déjà frayée et ont par suite moins de mal. Le soir un bon dîner, composé d’un excellent ragoût de pemmican, nous fait oublier les durs labeurs de la journée. »

Ces extraits de mon journal montrent les fatigues endurées. J’ajouterai que le traîneau auquel j’étais attelé avec Sverdrup était le plus lourdement chargé de tous.

Les Lapons se plaignaient bruyamment. Un jour Balto s’arrête et s’écrie en s’adressant à moi : « Bon Dieu ! lorsque nous étions à Kristiania, vous m’avez demandé quel poids nous pourrions traîner. Je vous ai répondu que nous nous faisions forts de haler 3 vogre (54 kilos) ; et maintenant, pour sûr, nos traîneaux pèsent le double. Si nous amenons cette charge jusqu’à la côte occidentale, je pourrai me vanter d’être fort comme un cheval. »

Que ces plaintes sur l’état de la neige ne vous fassent pas croire que les ski ne nous ont pas été utiles ; ces patins étaient au contraire absolument nécessaires, et sans eux nous ne serions pas allés loin. Pour haler des traîneaux, les ski sont préférables aux raquettes canadiennes ; avec les patins Scandinaves la marche est surtout moins fatigante. Durant dix-neuf jours, du matin au soir nous nous servîmes des ski ; la distance que nous avons ainsi parcourue n’est pas moindre de 510 kilomètres.

Pendant toute la durée de la traversée de l’inlandsis le temps fut généralement clair ; quelques jours seulement le ciel resta couvert. Lorsqu’il neigeait, et cela arriva souvent, les flocons n’étaient pas assez serrés pour masquer la vue du soleil. Cette neige était toujours formée de fines particules cristallines ; elle ressemblait plus à une pluie de givre qu’à la neige que nous sommes habitués à voir tomber dans nos pays. Elle avait l’aspect de la neige désignée en Norvège sous le nom de frotsne (qui est, croyons-nous, le grésil).