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a travers le grönland.

sur le traîneau et prend les raquettes norvégiennes (tryger). L’essai est cette fois plus heureux ; mais ces raquettes sont plus lourdes et enfoncent davantage que les canadiennes. Les Lapons avaient déclaré bien haut que jamais ils ne se serviraient de pareils instruments : maintenant il faut voir avec quel air de mépris ils nous regardent lorsque nous chaussons nos raquettes, et comme ils rient aux éclats quand au début elles nous embarrassent. A la vue de nos progrès, leur mine change. Ballo me demande bientôt si ces raquettes facilitent la marche, à plusieurs reprises il me fait la même question : évidemment il voudrait bien, lui aussi, les essayer, quoi qu’il en ait dit auparavant. Le 30 août, au malin, la couche de neige est unie, et notre homme prend ses ski ; bientôt après, Ravna suit son exemple, puis Kristiansen. Trouvant que les raquettes canadiennes étaient plus commodes que les ski tant que le glacier présentait encore une certaine pente, Sverdrup et moi nous les conservâmes jusqu’au 2 septembre. Dietrichson avait pris les ski la veille.

Pendant la traversée de cette partie de l’inlandsis, notre existence fut très monotone. Le moindre incident prit à nos yeux la plus grande importance. Lorsque la dernière terre disparut de notre horizon, ce fut un véritable événement. « Le 31 août, vers dix heures du matin, nous vîmes pour la dernière fois une terre dépouillée de neige, écrit Dietrichson. Du haut d’une ondulation du glacier nous apercevons un petit nunatak. Depuis plusieurs jours c’est le seul point noir qui, dans celle immensité blanche, attire nos regards. Maintenant il disparaît à son tour. » A ce petit pointement rocheux nous avons donné le nom de M. Aug. Gamél, le généreux Mécène de notre expédition. L’apparition d’un oiseau est également un fait très important dans notre vie.

Une heure après avoir perdu de vue le dernier nunatak, quel n’est pas notre étonnement d’entendre chanter un oiseau et d’apercevoir un bruant des neiges ! Après avoir volé autour de la caravane, le charmant petit oiseau vient se poser à quelques pas de nous. Il nous regarde, saute dans la neige, pousse plusieurs petits cris, puis prend sa volée dans la direction du nord : c’est le dernier être vivant que nous rencontrerons jusqu’aux approches de la côte occidentale.

Le glacier présentait toujours une certaine pente. Dans les derniers