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départ de la côte orientale. — escalade de l’inlandsis.

remédier j’essayai de cuire notre repas sur un traîneau en marche. La tentative réussit parfaitement. Une fois la soupe bouillante, la tente fut dressée ; mais au moment de déposer le fourneau, je fais un faux pas et renverse le contenu de la casserole sur le prélart servant de plancher. En un clin d’œil tous les camarades bondissent et saisissent la toile aux quatre coins. On fait couler la soupe dans un creux au milieu, puis on la transvase dans la casserole sans en perdre une goutte. En pareille circonstance il est utile que la toile soit imperméable. Balto après avoir raconté cet incident ajoute : « La soupe que nous mangeâmes n’était pas précisément très propre, car le prélart sur lequel elle avait coulé était sale, mais à cela nous ne fîmes pas attention ». Notre compagnon ne raconte point qu’à cette soupe était mélangée de l’esprit-de-vin tombé de la lampe : à son avis c’était un assaisonnement. Le dîner avalé, il fallut se remettre en marche, en dépit de la tourmente qui nous lançait la neige à la figure. À mesure que la journée avançait, le vent augmentait ; avec une pareille brise une température de -9° n’est pas précisément agréable. Malgré cette bourrasque, nous gravissons une pente escarpée la tête basse pour éviter d’être aveuglés. Ce n’est que tard que nous installons le campement. Un biscuit, un peu de chocolat à la viande et une granita au citron constituent notre souper, puis nous nous glissons dans les sacs pendant que la tempête fait rage dehors.

Le lendemain, lorsque je m’éveillai pour faire le café, quel ne fut pas mon étonnement de me trouver à moitié enfoui sous la neige, qui avait passé à travers les ouvertures de la tente et nous avait recouverts d’une épaisse couche de névé. Même mes souliers étaient remplis de neige. Dehors les traîneaux étaient à moitié ensevelis, et contre les parois de notre lente des tas épais étaient amoncelés. Néanmoins c’est avec un sentiment de bien-être que nous déjeunons au lit, c’est-à-dire dans nos sacs.

Toute la journée la tempête continue ; à mesure que nous avançons, la neige devient plus pulvérulente et par suite le traînage plus laborieux. Je songe alors à amarrer les traîneaux deux par deux, et à essayer à l’aide d’un voile de tirer des bordées et de nous élever dans le vent. Si notre marche continue à être aussi lente, de long-

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