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a travers le grönland.

grands accidents de terrain. Vers le matin nous atteignons une région bosselée de monticules et déchirée par des crevasses ; la neige est heureusement dure, et par suite le traînage facile. Après avoir parcouru un peu moins de 6 kilomètres, nous établissons le campement à l’altitude de 180 mètres. Avec quel plaisir nous avalons alors une demi-douzaine de tasses de thé bien chaud et nous nous glissons dans les sacs de couchage ! Au moment de nous endormir, nous nous apercevons que nous avons laissé notre morceau de gruyère là où à minuit nous nous sommes arrêtés pour dîner. C’eût été fâcheux d’abandonner pareille friandise, d’autre part il était bien ennuyeux de faire une nouvelle course après une marche pénible. Toujours dévoué, Dielrichson s’offrit pour aller chercher le morceau de fromage ; il voulait, disait-il, faire une promenade matinale avant de s’endormir, et en même temps compléter par de nouvelles observations la carte de cette partie du glacier.

Ce fut avec un véritable sentiment d’admiration que nous vîmes partir notre camarade ; nous ne pouvions comprendre son plaisir à se promener après la marche si pénible que nous venions d’achever.

Le soir venu, la caravane se remet en marche. Le glacier est très accidenté. Vers le milieu de la nuit, l’obscurité est si profonde que nous devons faire halte. À onze heures du soir la tente est dressée ; nous avalons un excellent chocolat en attendant l’aurore. Au delà le terrain est plus facile ; la neige est cependant toujours grenue et molle. Dans cette région, les crevasses deviennent nombreuses ; nous réussissons à traverser la plupart sans grandes difficultés. Le matin, la pluie commence à tomber. Nous prenons nos imperméables ; malheureusement ils laissent passer l’eau et bientôt nous sommes mouillés jusqu’aux os. Malgré un vent piquant, nous n’avons cependant pas froid, obligés que nous sommes au pénible halage des traîneaux ; mais il n’est pas précisément agréable de sentir les vêtements mouillés se coller contre la peau et se décoller ensuite à chaque mouvement. Nous continuons la marche pendant une partie de la matinée. La pente est douce et le halage facile lorsque deux hommes sont attelés à chaque traîneau. Les crevasses, par contre, sont nombreuses. Pour ne pas gêner la marche nous ne pouvons nous attacher tous à une même corde.