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a travers le grönland.

Grönland, ils ont bientôt reconnu que partout des glaciers leur barraient la route vers l’intérieur du pays. Ils ont alors renoncé à pousser plus avant ; leur imagination a placé dans cet inconnu le théâtre des récits relatifs à leurs anciennes relations avec les peuplades de l’intérieur du pays qu’ils avaient antérieurement occupé. Ces peuplades étaient vraisemblablement, pour la plupart, des Indiens des côtes septentrionales du nord de l’Amérique, et, dans les légendes des Eskimos, elles sont devenues les habitants de l’intérieur du Grönland. Les récits de traversées de l’inlandsis ont la même origine ; ils se rapportent évidemment à des pays situés à l’ouest et peuplés d’Eskimos. Ces indigènes ne paraissent avoir jamais eu une idée précise de l’intérieur du Grônland. Dans les régions où se trouve le renne, ils ont atteint en chassant la lisière du glacier, et parfois en ont traversé une petite étendue pour atteindre les nunataks où se réfugient ces animaux. De ces rochers, ils ont aperçu à perte de vue des champs de glace et de neige, et pensé probablement que partout le pays présentait le même aspect.

Les Scandinaves arrivèrent au Grönland il y a environ neuf cents ans et habitèrent la côte ouest et sud-ouest, probablement jusqu’à la fin du xve siècle. Ils paraissent avoir eu très tôt une connaissance exacte de l’inlandsis, à en juger d’après la description contenue dans le Kongespeil. Ce document renferme le passage suivant : « Si vous me questionnez sur la nature de ce pays, je vous répondrai qu’une petite partie seulement est dépouillée de glace et que tout le restant est couvert de glaciers. Les habitants ignorent par suite si leur pays est grand ou petit. Toutes les montagnes et toutes les vallées sont recouvertes d’une épaisse masse de glace, qui empêche les hommes d’avancer soit au milieu des montagnes, soit le long de la côte. Il doit cependant exister des passages débarrassés ; autrement les animaux sauvages ne pourraient venir des autres régions. Souvent les indigènes ont gravi en différents endroits les plus hautes montagnes pour découvrir une autre région habitable et dépouillée de glace, nulle part ils n’en ont vu trace, excepté le long de la côte. »

Cette description très exacte semble avoir été écrite de nos jours.