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a travers le grönland.

dons ! Encore un effort et nous y arriverons bientôt, pensons-nous. Mais les apparences sont souvent trompeuses, surtout sur l’inlandsis : nous reconnaissons que de longtemps encore nous ne pourrons arriver à cette terre promise. Partout devant nous, des crevasses, les plus larges que nous ayons rencontrées jusqu’ici.

Au début, aucune difficulté ; avec les raquettes je puis sauter par-dessus ces gouffres et me hasarder sur des ponts de neige fragiles. Ceux qui sont trop minces pour supporter notre poids, nous les passons en rampant. Plus loin voici des crevasses énormes, et au-dessus aucun pont. Nous les contournons, ce qui allonge encore notre chemin. Finalement nous arrivons devant un véritable gouffre ; pour en atteindre l’extrémité et le traverser, un très long détour est encore nécessaire. Le rocher vers lequel nous nous dirigeons disparaît peu à peu dans l’obscurité, et la crevasse est toujours aussi large. Enfin nous arrivons à son extrémité. Désormais nous ne contournerons plus les crevasses vers le nord.

Nous avançons maintenant rapidement, notre rocher devient plus distinct. Tout à coup, que voyons-nous devant nous ? une flaque noire, une crevasse, sans doute ? non, c’est une petite nappe d’eau. Quelle joie, lorsqu’on a souffert de la soif depuis de longues heures ! Nous prenons nos gobelets et nous avalons de longues gorgées de cette eau froide. Toute la journée nous n’avons eu d’autre ressource pour nous rafraîchir que de manger de la neige. C’est à mon avis une des plus grandes jouissances que de boire de bonne eau fraîche lorsqu’on souffre de la soif. Nous remplissons nos bouteilles de poche, puis atteignons bientôt notre rocher, où nous prenons un nouveau repas.

Maintenant la pluie commence à tomber. La situation n’est pas précisément agréable ; à quelques pas devant nous, impossible de rien distinguer, et nous sommes encore loin du campement. Allons, du courage et en route ! Nous nous dirigeons au sud le long du rocher. La surface du glacier est ici unie comme dans les localités où il est immobile et soudé par la gelée au sous-sol et aux parois encaissantes. Bientôt la pente devient très rapide, tout juste nous pouvons conserver notre équilibre. La situation est d’autant plus