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a travers le grönland.

reconnaissance : les nuages et le mauvais temps pourraient bientôt venir. Cette perspective désagréable ranime notre énergie. Nous gravissons un monticule, nous croyons être sur le sommet désiré ; point du tout : derrière s’en élève un second qui nous masque la vue.

Un nouvel effort est nécessaire ; le glacier est de nouveau accidenté. Nous avançons le plus rapidement possible. Les crevasses sont nombreuses, nous réussissons cependant à les traverser. Maintenant voici la pluie, nous gravissons en toute hâte une dernière pente assez rapide, en enfonçant jusqu’au-dessus des genoux. Nous atteignons enfin le sommet, la « colline blanche », comme nous l’avons appelé. De là le panorama est admirable. À perte de vue s’étend la plaine blanche, elle semble unie et sans crevasses jusqu’à l’horizon. Au milieu de cette immensité glacée apparaissent un grand nombre de nunataks. Beaucoup sont ensevelis sous un linceul de neige ; d’autres, au contraire, présentent de beaux rochers dont la masse noire se détache en vigueur sur le glacier ; ce sont les seuls points qui tirent l’œil au milieu de l’inlandsis. Le plus pittoresque de ces pointements rocheux est un petit nunatak éloigné que nous appelons la Vierge. Pourquoi nous lui avons donné ce nom, je ne saurais trop le dire ; peut-être parce qu’il était tout blanc, couvert d’une neige immaculée, et qu’au sommet un rocher apparaissait comme une tête. Avec ses longues pentes en dôme, il rappelait la forme d’une crinoline de l’ancien temps. Devant la Vierge apparaissaient plusieurs autres nunataks, également couverts de neige. Les pics les plus lointains étaient situés à environ 55 ou 90 kilomètres de notre observatoire ; pour arriver à leur base, le voyage sera long. La pente est douce, mais l’état de la neige laisse beaucoup à désirer, comme nous l’avons éprouvé pendant cette reconnaissance. Si le thermomètre ne descend pas au-dessous du point de glace pendant la nuit, la marche ne sera pas précisément agréable. Nous nous trouvons à l’altitude de 900 mètres environ ; plus haut les nuits seront certainement fraîches et le traînage deviendra facile.

Le but de notre reconnaissance est atteint ; jamais nous n’avions pensé pouvoir avancer aussi rapidement. Le soir approche et il est