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notre dernier campement sur la côte orientale.

Pendant ce temps Dietrichson relèvera la carte de la baie, et, accompagné de Sverdrup, j’irai en reconnaissance. Il est indispensable de s’assurer si le glacier est praticable et de reconnaître de quel côté la marche sera le plus aisée. Nous avons hâte de contempler cette terre qui n’a jamais été foulée par le pied de l’homme. Avant de partir nous profitons du soleil pour déterminer la position du campement, et prendre des photographies. Après quoi nous nous mettons en marche, Sverdrup et moi. Munis d’un sac de vivres, d’une corde et de haches à glace, nous gravissons un monticule rocheux entouré de glaciers, situé au nord du campement, que nous appelons nunatak Nordenskiöld. Nous sommes bientôt au sommet, où se trouve une petite moraine. De là la vue s’étend sur l’inlandsis. La surface du glacier est loin d’être aussi unie qu’elle le semblait d’en bas ; dans tous les sens elle est déchirée par de larges crevasses. Elles sont nombreuses surtout sur les deux glaciers qui enveloppent le nunatak. Nous pensions avancer dans la direction du nord, mais nous sommes bientôt arrêtés ; la seule route praticable est un renflement situé entre les deux glaciers. Dans celle direction, sur une certaine distance, il n’y a aucune crevasse. Tout d’abord la glace est dure, inégale, couverte d’aspérités pointues, pour le plus grand dommage de nos chaussures.

Plus loin, nous rencontrons de la neige grenue, imprégnée d’eau, dans laquelle nous enfonçons. Bientôt voici de nouveau des crevasses ; elles sont d’abord étroites et faciles à traverser ; plus loin, elles s’élargissent et paraissent très profondes ; pour les dépasser, nous devons faire des détours. Les crevasses sont généralement ouvertes perpendiculairement à la direction dans laquelle s’écoule le glacier. Elles sont produites par le passage de la glace en mouvement sur les aspérités du sous-sol.

Pendant quelque temps nous avançons rapidement, tantôt en marchant le long des crevasses dans la direction du nord, tantôt en sautant par-dessus ces gouffres, ou en les franchissant sur des ponts de neige. Dans les endroits où la couche de névé est mince, ces passages n’offrent aucun danger ; il est alors facile de voir où il faut placer le pied. Si le pont menace ruine, on passe en se faisant aussi léger que possible. Nous étions, du reste, attachés à une corde,