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a travers le grönland.

peut donc évaluer à environ 400 mètres l’épaisseur de cette masse de glace flottante. Ajoutez que ces glaçons ont une largeur d’un millier de mètres et vous pourrez vous rendre compte des dimensions de ces montagnes de glace. Le long de la côte orientale il s’en trouve des centaines et même des milliers ; rien qu’à l’entrée du Bernstoffsfjord on en apercevait un très grand nombre. Vus du sommet de l’isberg que nous avions gravi, tous ces glaçons semblaient une haute chaîne alpine émergeant au milieu de la mer.

Les isbergs présentent deux formes différentes ; il semblerait par suite qu’ils proviennent de deux sources différentes. Quelques-uns ont, comme les glaciers alpins qui se terminent au niveau de la mer, une surface inégale et crevassée, des formes irrégulières et une belle couleur bleue ; à ces caractères on les reconnaît de très loin. Évidemment ils proviennent des glaciers alpins. À côté de ceux-là on en voit d’autres beaucoup plus réguliers, comme celui que nous avons escaladé ; ce sont des parallélépipèdes de dimensions colossales, dont la glace est plus blanche que celle des montagnes de glace flottantes dont nous venons de parler. Rarement il s’en éboule des fragments, et l’on peut passer près d’eux en canot sans courir de trop grands dangers. À voir leur surface unie, ils ne semblent pas originaires des glaciers de la côte, et pourtant les isbergs présentant celle forme sont les plus nombreux ; on en rencontre bien cinq de ce type contre un provenant des glaciers. Comment se forment donc ces montagnes de glace flottante ? Très certainement il n’existe pas, dans la région, de glaciers dont la surface soit aussi unie et aussi dépourvue de crevasses que celle de ces glaçons, et d’autre part on en rencontre dans les fjords, devant des glaciers très accidentés : ils sont donc évidemment originaires de ces glaciers. Voici l’explication que je crois pouvoir proposer : les isbergs de la première catégorie sont des tranches détachées des glaciers, des fragments de surface naturelle de ces courants de glaces ; les autres ont, au contraire, au moment du vêlage ou ultérieurement, subi un retournement, et leur large sommet campaniforme est formé soit par la face inférieure du glacier, soit par un des plans de cassure, généralement unis et sans crevasse.

Par derrière ce rempart d’isbergs la mer était libre à une très