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a travers le grönland.

cristal, descend jusqu’au niveau de la mer. Après avoir déjeuné et mis les canots à l’eau, je prends une photographie du paysage, et maintenant, en route ! La mer est parsemée de glaces flottantes, à travers lesquelles il est facile de se frayer un passage. Vers midi nous atteignons un mouillage excellent sur la côte d’une petite île située à l’embouchure du fjord de Mogen Heinessön ; nous nous y arrêtons pour dîner. Cet îlot est certainement le plus riant coin de terre que nous ayons vu jusqu’ici sur la côte du Grönland : partout de la verdure et des fleurs. Sur le sommet d’un monticule se trouvent les ruines de deux constructions indigènes, couvertes également d’une très belle végétation. Quel plaisir de se reposer dans l’herbe aux chauds rayons du soleil ! Après avoir pris quelques échantillons de la flore de ce coin idyllique, en route !

La côte que nous avons longée jusqu’ici est plate, monotone et nue. Presque partout la neige et la glace atteignent le niveau de la mer. Autour du fjord de Mogen Heinessön s’élèvent des pics présentant des formes à la fois élégantes et hardies ; nous voici maintenant au milieu de paysages d’un genre nouveau. De tous côtés se dressent au-dessus de la mer de hautes montagnes, entassées les unes contre les autres.

Tout est relatif dans ce bas monde. Devant ces belles montagnes, il semble que nous nous trouvions dans un pays moins désolé ; et voyant des rochers au lieu de champs de neige, nous nous croyons au milieu de l’été, quoique environnés de glaces flottantes.

Nous rencontrons de grands isbergs, quelques-uns échoués tout près de la côte. Dans la soirée, à l’est de Nagtoralik, apparaissent de hauts pilons blancs, d’une forme particulière ; tout d’abord je ne sais trop ce que je vois, je doute du témoignage de mes yeux, enfin je reconnais que ce sont les dentelures du sommet d’une colossale montagne de glace. La photographie que j’en fais ne rend guère l’effet produit par ce magnifique isberg. Il se composait de deux énormes pitons de glace élancés comme des clochers ; à une certaine hauteur, le bloc était percé de part en part par un tunnel, et, à la ligne de flottaison, la mer avait creusé des grottes qui auraient pu abriter un petit navire. On eût dit un palais des contes de fées bâti