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toujours au nord

femmes qui nous précédaient ramaient d’une manière très curieuse. Elles donnaient d’abord des coups d’aviron lents, puis, graduellement, accéléraient le mouvement, et au moment où il devenait très rapide, elles s’arrêtaient brusquement pour souffler un instant. En tirant sur leurs avirons, les Grönlandaises se lèvent tout debout, puis retombent sur le banc. Leurs rames étant très courtes, elles sont par suite obligées de donner des coups plus précipités. Les oumiaks avançaient rapidement, quelquefois même nous dépassaient ; nos embarcations, il est vrai, n’avaient que deux rameurs, tandis que les canots indigènes en comptaient sept. Un moment les Eskimos prennent l’avance sur nous, mais bientôt, arrêtées par de la glace, les femmes nous font signe d’aller à leur secours. Quand nous arrivons avec nos gaffes, nous ne pouvons nous empêcher d’éclater de rire. Un Eskimo est là avec un petit bâton, essayant de déplacer un énorme bloc. Il a une mine toute contristée de voir ses efforts restés sans résultat. Sous notre poussée le glaçon s’écarte tout de suite, et nos canots passent. Les oumiaks, beaucoup plus longs que nos embarcations, eurent au contraire quelque difficulté à traverser l’étroit chenal que nous venions d’ouvrir. Souvent, du reste, les canots des Eskimos sont pris dans des passages que nous leur avons frayés. Si nous n’avions pas attendu nos compagnons, nous aurions pris une grande avance sur eux. C’était avec un profond étonnement que je constatai l’infériorité de l’oumiak sur nos embarcations après l’éloge qu’en ont fait Ilolm et Garde. D’après ces explorateurs, un voyage le long de la côte n’est possible qu’avec les canots des Eskimos. Pendant longtemps les Danois établis au Grönland ont partagé cette opinion. Voyant les Eskimos se frayer un chemin au milieu des glaçons, alors qu’eux-mêmes seraient en pareille circonstance réduits à l’immobilité, ils considéraient les indigènes comme leurs maîtres dans cette navigation, et, ces indigènes n’employant que des canots en peau, ils ont été persuadés que ces embarcations étaient les meilleures pour voyager sur une mer encombrée de glaces. À mon avis nos canots sont de beaucoup supérieurs à ceux des Grönlandais pour ce genre de navigation. Quant à l’objection faite que nos embarcations ne peuvent prendre un chargement aussi lourd que les oumiaks, elle me parait sans fondement.