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à travers le grönland.

hommes sur la glace, criai-je aux camarades. Nansen accourut aussitôt et prit à son tour la lunette. Nous entendîmes ensuite ces sauvages chanter leurs psaumes païens ( ?  !), et à notre tour nous criâmes. Les Eskimos firent aussitôt route de notre côté, et arrivèrent devant nous quelques instants après. En approchant, l’un d’eux s’inclina profondément ; lorsqu’ils furent tout contre la rive, ils prirent chacun leurs kayaks à la main et montèrent ainsi sur les rochers. Une fois devant nous, ils se mirent à pousser une sorte de beuglement. « Ieu ! Ieu ! » criaient-ils, pour témoigner leur étonnement de nous voir. Nous essayâmes de causer avec eux, mais nous ne comprîmes pas un mot de leur langue. »

Vers six heures du soir, je me réveille. Aussitôt je sors de la lente pour voir la position des glaces. Une fraîche brise soufflant de terre a ouvert la banquise. La route vers le nord me semble libre. De suite j’appelle mes compagnons.

Bientôt tout le monde a pris place dans les canots et nous nous dirigeons vers le Puisortok. Nulle part auparavant nous n’avions rencontré moins de glace qu’en cet endroit redouté. Je craignais néanmoins de trouver plus loin une banquise compacte ; mes craintes furent heureusement vaines. Nous rangeâmes seulement des blocs plus ou moins gros détachés du glacier. Pour de solides canots en bois qui ne peuvent être déchirés par les aspérités des glaçons comme les embarcations des indigènes, ces drifis n’opposent pas autant d’obstacles à la marche que la glace de mer. La traversée de quelques passages entre de gros glaçons, au milieu de petits fragments de glace, fut cependant assez laborieuse. Somme toute, nous doublons le Puisortok sans trop de difficultés. A plusieurs reprises nous longeons de près la haute falaise terminale des glaciers. Elle présentait toutes les différentes teintes du bleu, depuis le bleu azur dans les crevasses jusqu’au bleu laiteux sur les couches supérieures, couvertes encore de neige.

Je ne puis comprendre la mauvaise réputation du Puisortok. Son mouvement est très lent, comparé à celui des autres glaciers du Grönland ; par suite, il vêle[1] rarement, et les fragments qui s’en

  1. On dit qu’un glacier vêle lorsque de son extrémité inférieure s’écroulent dans la mer des blocs de glace. (Note du traducteur.)