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au nord le long de la côte orientale.

pement ; les canots, leurs ferrures, excitent leur admiration et les étonnent. Nous faisons présent à chacun d’un morceau de biscuit de viande : immédiatement leur physionomie s’éclaire d’un rayon de joie ; ils goûtent la friandise, puis conservent le reste, sans doute pour le montrer à leur famille, une fois de retour au campement. Tout le temps qu’avait duré cette pantomime nous étions restés immobiles, et nos nouveaux amis, qui avaient une partie du corps à l’air, commençaient à grelotter. Ils nous firent alors comprendre que le temps était trop froid pour rester ainsi sans bouger et qu’ils désiraient remonter dans leurs kayaks. Ils nous demandèrent ensuite, toujours par signes, si nous nous dirigions vers le nord. Sur notre réponse affirmative, ils nous engagent à nous méfier du Puisortok, et après cela descendent au rivage. Ils disposent leurs embarcations, s’y glissent avec l’agilité d’un chat, donnent ensuite quelques coups de rames, puis filent rapidement sur la surface de la mer. Tantôt ils avancent en faisant mouvoir leurs avirons comme les ailes d’un moulin, tantôt ils s’arrêtent afin de découvrir un passage moins encombré. Par moments ils restent un instant immobiles, lèvent le bras, agitent le haut du corps en arrière et lancent un harpon ou une fouène ; puis, au moment où l’arme sort du levier servant à la projeter, ils partent en avant et rattrapent le harpon lorsqu’il vient frapper l’eau. Les kayaks avancent rapidement ; bientôt ils ne forment plus que deux points noirs au milieu des glaçons entassés devant le glacier, puis disparaissent derrière un isberg. Nous réfléchissons quelques instants à cette rencontre inattendue. D’après Holm et Garde, cette région était déserte. Probablement ce sont des indigènes en voyage. Maintenant il est temps d’aller dormir. Nous entrons dans la tente et prenons place dans les sacs de couchage.

Balto donne dans son journal la relation suivante de notre entrevue avec les Eskimos. Ce récit, écrit à Karasjok un an après le voyage, concorde avec le mien ; je ne puis résister au plaisir de le citer : « Nous étions en train de manger, lorsque nous entendîmes un cri qui ressemblait fort à un cri humain. Nous n’y fîmes d’abord pas attention, croyant que c’était un oiseau. Ayant pris la lunette, je montai sur un rocher pour examiner la mer ; j’aperçus alors quelque chose de noir en mouvement près d’un glaçon. — Je crois voir deux