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a bord du jason.

ques jours auparavant, de l’huile de souffleur. Or cette huile est plus laxative que celle de ricin. Ainsi s’expliquaient ses douleurs d’entrailles.

Comme chirurgien, je rendis plus de services à ces braves gens que comme médecin. Dans leur dur métier ils se faisaient souvent des blessures aux mains, dont la plupart du temps ils ne prenaient aucun soin. Presque toujours ils ne venaient me trouver que lorsque les plaies étaient devenues mauvaises. Je les faisais d’abord laver soigneusement, puis les traitais par des antiseptiques. Généralement les guérisons furent rapides ; j’eus cependant à soigner un cas très grave.

Un jour un matelot vint se plaindre à moi d’une courbature générale ; il souffrait, disait-il, particulièrement dans le dos. Ennuyé de toutes ces consultations, je ne l’examinai guère, et crus qu’il avait simplement des rhumatismes. En conséquence, je lui recommandai de se couvrir chaudement et de ne pas s’exposer au froid. Quelques jours après je vis reparaître mon homme, qui, cette fois, se plaignait de douleurs intolérables au bras. Le bras était en effet enflé, particulièrement au-dessus du coude. Du coup, mon attention fut éveillée. Le malade s’était, quelques jours auparavant, écorché un doigt, n’avait pas soigné sa blessure : tout le mal venait de là. Un empoisonnement du sang était survenu. Pour le moment je ne crus pas pouvoir faire quelque chose, et me bornai à recommander au patient de porter son bras en écharpe et de ne pas s’en servir. Mais chaque jour son état empira, en même temps l’enflure et les douleurs augmentèrent. Pour diminuer ses souffrances je lui appliquai des compresses froides ; bientôt la fièvre se déclara et le malade perdit l’appétit. Le bras était devenu gros comme la cuisse : évidemment une opération allait devenir nécessaire, et cette perspective ne me souriait guère. Tout le monde croyait sa fin prochaine. Pour consoler le pauvre homme j’allais le voir plusieurs fois par jour. Le malheureux était fort mal installé, couché sur un cadre étroit dans le poste, où toute la journée soixante hommes fumaient et faisaient du bruit. À chaque instant, lorsque le navire heurtait des glaçons, le patient éprouvait de dures secousses, ses souffrances devenaient alors atroces, et lui faisaient pousser des cris déchirants. C’est dans ces conditions que je dus l’opérer. Un canif affilé sur une meule