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à travers le grönland.

chasseur, l’abondance du gibier rend les distractions faciles. Les phoques font-ils défaut, on a la ressource d’abattre des guillemots, et ils ne sont pas rares, ces palmipèdes : en quelques instants on peut en tuer une cinquantaine. En tirant ces oiseaux, lorsqu’ils passent en bandes nombreuses le long de la banquise, on remplit en peu de temps sa carnassière. À mon avis, la chasse la plus intéressante dans ces régions est celle du phoque, un excellent exercice pour apprendre à tirer avec calme et sang-froid. Généralement on tire le phoque à une centaine de mètres, mais il faut l’atteindre dans la tête ou au cou. Le frappe-t-on dans le corps, il plonge et coule de suite. Lorsque l’animal est farouche, les distances peuvent être plus grandes que celle indiquée plus haut. Les bons tireurs de phoques sont rares ; il est difficile, en effet, de tirer d’un canot qui éprouve un certain mouvement ; de plus, sur la glace, il se produit de singulières illusions d’optique. Souvent des gens très adroits lorsqu’ils s’exercent à la cible, tirent très mal le phoque. Cette chasse est émouvante, et si les résultats en sont bons, tous ceux qui y ont pris part compteront comme moi, j’en suis sur, ce temps au nombre des moments les plus agréables de leur vie. Vous vous trouvez là en pleine nature, au milieu de la banquise et de l’océan, en proie à toutes les excitations d’une chasse émouvante. Si vous n’ètes point trop amolli par les douceurs de la civilisation, vous éprouvez à la vue de tout ce gibier une émotion fébrile, une surexcitation qui donne une vie intense à tout votre être. Vous n’avez plus alors qu’une seule pensée, tuer le plus grand nombre possible de phoques. Ce sentiment est sans doute un héritage de nos ancêtres, du temps où ils vivaient exclusivement des produits de la chasse et de la pêche. En tout cas, cette vie active en plein air est saine pour l’esprit et le corps.

Quand nous étions fatigués des émotions de la chasse et de la vue de la mer, nous organisions des jeux. Le spectacle de l’océan est certes grandiose, mais à la longue il fatigue ; l’esprit le plus enthousiaste en est lassé après un long séjour sur mer.

Une de nos grandes distractions était de nous exercer à lancer un lazo, fait d’un bout de corde terminé par un nœud coulant.

Les Lapons, habitués à employer cet engin pour prendre leurs