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nières campagnes aux gros temps, ou à un état particulièrement défavorable de la banquise. Pareil fait a pu très bien arriver un an ou deux, mais cela ne peut expliquer que les phoques aient pour ainsi dire déserté ces parages depuis quatre ou cinq ans. Plusieurs fois cette année le Jason a rencontré des fragments de banquise, présentant d’excellentes conditions pour le séjour des stemmatopes ; quelques années auparavant ces « champs » auraient été couverts de phoques, aujourd’hui ils n’en portaient pas un. Ces animaux se tenaient toujours sur la glace compacte ; lorsqu’elle s’ouvrait, immédiatement ils disparaissent pour aller s’installer plus loin, dans une partie de la banquise absolument fermée.

Dans ces parages le phoque à capuchon a considérablement diminué depuis la chasse acharnée qui lui a été faite pendant plusieurs années. En 1882, lorsque le navire entrait dans la banquise, de tous côtés on en apercevait : en 1888, à peine en voyait-on quelques-uns. Au début de notre croisière, les phoques m’avaient semblé moins nombreux qu’ils ne l’étaient en réalité. Le 3 juillet, nous aperçûmes une masse considérable de stemmatopes : jamais auparavant je n’en avais vu autant, mais ils se trouvaient sur une masse de glace absolument impénétrable.

La diminution des phoques dans ces parages doit être attribuée pour une part à la chasse acharnée qui leur a été faite, pour une autre à une modification survenue dans leurs habitudes à la suite de cette guerre sans pitié.

Les animaux raisonnent, et savént tirer des conclusions de leurs observations. Les sens les instruisent aussi bien que nous, sinon mieux. Ce qui arrive pour les stemmatopes mitrés dans le détroit de Danemark en est une preuve.

Il y a une quinzaine d’années, ces animaux vivaient bien tranquilles sur la banquise. L’ours blanc seul venait de temps en temps troubler leur quiétude. Maître Martin n’est point un bon nageur, et il ne se hasarde guère sur les glaces au large, que recherchent les phoques à capuchon. En 1876, l’arrivée du premier baleinier norvégien mit fin à cette existence paisible. Dans cette première campagne, il captura une quantité énorme de phoques. A partir de cette année, chaque printemps une flottille de baleiniers