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À TRAVERS LE GRÖNLAND.

main nous communiquons avec plusieurs. Tous les marins désirent rendre visite à notre expédition. Avant notre départ pour la côte orientale du Grönland, un capitaine vient chercher le courrier destiné à la flottille dont nous sommes porteurs. Dans quelques heures, nous allons nous séparer des autres navires et nous ne savons trop quand nous les reverrons. Dans l’océan Glacial, le service de la poste a une organisation particulière. Un bâtiment va-t-il faire un tour en Islande, il en rapporte le courrier destiné à tous les autres bateaux. La mer est vaste et il ne doit pas être facile de s’y rencontrer, pensera-t-on. Détrompez-vous : la région où se fait la chasse au phoque n’est pas très étendue, et chaque équipage est au courant des faits et gestes de ses voisins comme les curieux d’une petite ville. Un navire ne s’éloigne du reste jamais des autres, dans la crainte qu’en son absence ses concurrents ne trouvent du gibier.

Dans l’après-midi nous rencontrons le Geysir, de Tönsberg. Le capitaine vient à bord souper avec nous. Il est gai et joyeux, ce brave homme : nul d’entre nous n’a le courage de lui apprendre la mort de trois de ses enfants enlevés par la diphtérie depuis son départ. Ici on vit heureux dans l’ignorance de tout ce qui se passe dans le monde : la chasse seule cause des joies ou des tristesses.

La nuit nous croisons le Morgenen, un des navires de Svend Foyn. Il sortait de la banquise, traînant à la remorque les peaux de trois ours blancs. Cette vue excite l’envie de Dielrichson et de Sverdrup ; mes camarades brûlent du désir d’abattre ou tout au moins d’apercevoir un de ces mammifères. Pendant plusieurs jours le Jason fait ensuite route dans l’ouest. Un vent contraire retarde notre marche ; nous perdons en outre du temps à explorer les baies de la banquise pour voir s’il n’y a pas par là des phoques. Nous n’en aperçûmes pendant ce trajet qu’un très petit nombre.

Nombreux au contraire sont les Hyperoodon diodon. Ils nous suivent par troupes de cinq ou six, en nageant le long du navire ; ce sont des animaux tout à fait extraordinaires, avec leur haut monticule de graisse sur le front et particulièrement proéminent chez les mâles.

L’hyperoodon appartient au groupe des denticètes : il a en effet deux petites dents, qui souvent font défaut chez les animaux âgés. Ces dents ne leur sont d’aucune utilité : elles sont simplement un