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926 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

est chez lui si puissant, qu'en ses récits pas une image n'est contenue en puissance dans les autres images ou dans l'idée du tout ; on dirait que chaque image surgit à son tour par sa force propre, et se lie aux autres en vertu d'affinités naturelles, sans intervention d'un dessein préconçu. Ce génie involontaire fait défaut à Pierre Mille : Il n'atteint pas sans quelque peine, il n'atteint que par moments, à ces inventions subites qui marquent le récit d'un accent décisif. Mais de tels moments suffisent ; et le reste du temps, il ne nous déplaît pas qu'un travail de logique constructive vienne soutenir et compléter, comme chez la plupart de nos conteurs, le jeu tout spontané de l'imagination.

En cela Pierre Mille se rattache à nos traditions nationales. Il est aisé de voir tout ce qu'il tient soit de Maupassant, soit d'Anatole France. Comparé à Kipling, il reste bien français par l'ironie, par l'esprit, par une émotion sans sensiblerie (rappelez- vous l'histoire de Marie-faite-en fer). Quand il nous montre sans mensonge l'égoïsme, la ruse et la brutalité, toute l'âpreté des luttes humaines, il n'affecte point ce ton d'humour cruel que prend Kipling pour narrer même de simples farces d'écoliers. Quand il décrit des hommes de couleur, avec leurs caprices puérils et barbares, il n'ignore point ce qui survit en nous de leurs instincts, il ne les plie pas sous V orgueil du blanc, il voit en eux toujours des hommes inachevés, des enfants qu'il faut conduire, non des brutes qu'il faut dresser. Les troupiers de Kipling, tout débrouillards qu'ils soient, n'ont pas les curiosités ni la souplesse de Barnavaux ; ils ne goûtent pas le spectacle du monde ; il leur est égal de ne pas voir clair dans les choses qui les étonnent. Ils participent à l'âme de leur nation, nullement à sa culture. Barnavaux sûrement n'a pas lu nos philosophes ni nos poètes ; mais quelque chose d'eux a passé dans son sang, mêlant à sa soif d'aventures un besoin de compréhension ; à son mépris pour les noirs et les jaunes, une indulgente sympathie.

Louise et Barnavaux ne se présente pas comme un roman bien

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