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LE THEATRE 921

minutieuse différenciation des époques. On nous a donné le sentiment du recul. On a disposé les siècles passés selon de fuyantes perspectives et nous en calculons les distances d'après les " progrès " qui nous en séparent. L'érudition ne cesse de souligner ce qui nous porte à les sentir étrangers. Elle prend le contrepied de l'histoire véritable. Au lieu d'écarter ces mille barrières de mœurs et d'idées qui nous empêchent d'avoir directement commerce avec une époque, au lieu d'insister sur le contenu humain, étemel d'un événement, elle entrave notre sympathie par mille préjugés. Elle empêche notre imagination de bondir naïvement vers le passé comme vers des hommes qui presque en toute chose étaient nos semblables. On a découvert sur le mythe orphique des documents de haut intérêt ; mais ce n'est que par un long détour que nous retrouverons l'émotion qu'avait d'emblée le balbutiement d'un Villon :

Orpheus le doux ménétrier Jouant défiâtes et musettes !

Nous sommes tellement ensevelis sous les travaux historiques, qu'il faut un effort d'esprit considérable et une sympathie obstinée pour sauvegarder notre amitié envers des hommes et des femmes qu'on s'efforce de nous rendre déconcertants... On nous dit qu'une intolérable odeur d'urine empestait les murs de Versailles. Va-t-il nous falloir salir toutes les scènes du grand siècle en leur imaginant cet accompagnement dont les hommes d'alors ne s'apercevaient pas r On ne saurait exagérer le dommage que la couleur locale a causé au drame historique. Plus elle l'a dirigé vers la curiosité et le bibelot, plus elle l'a vidé de signification directe. Il suffît d'un peu de jargon archéo- logique pour nous dépayser et nous jeter dans l'irréel. Si l'auteur veut nous donner un plaisir d'exotisme, il renonce du même coup à toute action convaincue.

Ce qui sauve Dumas père, c'est qu'avec beaucoup de bra-

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