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856 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la vie banale et vulgaire, nous formions une bande fameuse ! En avons-nous assez dit ! Je revois l'atelier, loué en commun, qui, sous les toits d'une puante maison de Montmartre, abritait nos extravagances et nos vocifé- rations. Il s'y réunissait des peintres, des poètes, des philosophes, des musiciens, des acteurs, et même des financiers en herbe, — j'étais de ceux-là, — gros de projets titaniques, résolus à bouleverser la chose sociale. Qu'est-ce que tout cela est devenu, mon Dieu ! Plusieurs ont réussi à se tirer d'affaire, — lentement, par la filière, — le plus grand nombre s'est marié, et leur premier soin, à tous, une fois casés, fut de lâcher ceux qui tenaient bon. Un jour, nous sommes restés seuls, Lusin et moi.

...On sonne à leur porte. Ils rentrent? Non, un imbécile se trompe d'étage,..

Lusin, lui, est devenu célèbre. Encore a-t-il fallu qu'il meure, pour cela. Pour rançon de sa gloire, le destin exigea son trépas. Le destin ?... Non, mais la cupidité des hommes, leur injustice, leur cruauté... Je me rappelle, il y a dix ans, peu avant sa mort, la dernière visite qu'il fit à un éditeur. — Je parle de Paul Lusin, l'écrivain. — Nous partons pour les bureaux du Parnasse Français, tous les deux, car de fréquentes syncopes le terrassaient, et il sortait rarement seul. Lusin demande à parler au directeur.

— Pourquoi, pour un abonnement ? interroge un vilain petit juif, tordu et hargneux.

— Non, pour une édition.

— Les éditions ? c'est moi que cela regarde. Que voulez-vous ?

— Voir le directeur.

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