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SEPT HOMMES 847

grand cœur, autrefois, — et que je ne connaissais pas. Nous ne connaissons nullement les lieux où nous fûmes élevés. Il faut telle circonstance brutale pour nous jeter, les yeux dessillés, devant les endroits les plus familiers, que nous croyons voir, alors, pour la première fois. Le lit était un meuble d'ébéne massive, fort bien sculpté, mais, l'avouerai-je, la forme rigide qu'il portait me faisait peur, et je promenais plutôt mes regards sur les vitrines, toutes de lourd bois noir, où mon oncle entassait les vieux livres, aux étonnantes reliures, parmi lesquels il voulait vivre, réservant ses autres collections pour les salons où il avait reçu, trente ans durant, les hommes les plus distingués de son époque. Dans la chambre mortuaire, la clarté des cierges piquait des petits points blancs, larmes trem- blantes.

Au milieu de la nuit, accablé par le silence qui enve- loppait cette veillée, je sortis une minute. Trois choses me frappèrent, à mon retour : une odeur fade, d'abord, une odeur d'huile rance que j'attribuai à la cire des cierges, mais dont je dus bientôt m'avouer qu'elle provenait du corps ; ensuite, les yeux, fous de terreur, du domestique que j'avais laissé seul, — comment tenir pour vivante cette religieuse qui marmottait des patenôtres à nos côtés? — mes mains, enfin, qui tremblaient. Quant au mort, je ne le voulais plus regarder, c'était assez de le sentir ! Et je m'assis à ses pieds, le visage tourné vers la fenêtre, dans l'attente du jour libérateur qui viendrait baigner mon front de ses douces lumières et finir mon supplice.

Quelques mots que murmura le valet de chambre me firent autant sursauter que si le cadavre, lui-même, avait parlé.

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