Page:NRF 8.djvu/808

Cette page n’a pas encore été corrigée

800 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Dieu ? — Un événement, à l'instant qu'il com- mence, on le sent hésiter légèrement ; son issue est encore ambiguë ; et, tout à coup, il se met à pencher fortement d'un côté, comme un navire qui sombre ; et dès ce moment, ainsi qu'on voit l'eau se glisser en mille ruisseaux dans la coque pour en achever le naufrage, de même toutes les petites circonstances quotidiennes prennent le sens de l'événement, l'aggravent, tombent avec lui, l'entraînent vers son accomplissement. Ah ! qu'il faut manquer d'inspiration pour croire au gouver- nement de la causalité et pour ne pas comprendre que tout se fait par des " volontés particulières " ! A chaque instant ma vie reçoit sa figure d'une puissance cachée ; quelqu'un la modèle avec un profond caprice ; quelqu'un qui réfléchit, préfère, regrette, invente, un esprit attentif et distrait, plein de projets immenses et en même temps d'une amoureuse minutie. C'est en ce sens qu'on peut dire que Dieu est manifeste dans ses œuvres. Sans doute j'ai le sentiment d'être pour quelque chose dans la formation de ma destinée et dans cette soudaine pente imposée à l'événement. Ce n'est pas une pure illusion. Je choisis sans doute ; mais d'une façon rudimentaire ; je ne fais qu'ébau- cher le choix ; je choisis en homme, c'est-à-dire dans la fièvre et dans l'ignorance ; je considère hâtivement les diverses alternatives, je m'empare de quelques motifs, je les serre contre moi, je

�� �