Page:NRF 8.djvu/654

Cette page n’a pas encore été corrigée

648 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

jour, on appelait le docteur Van Leer pour qu'il examinât la fragile enfant. Et chaque fois elle avait changé, chaque fois un trait nouveau s'était ajouté à sa forme merveil- leuse. Elle allait toujours pieds nus sur l'aire de briques, et ses cheveux noirs, qui n'avaient jamais été nattés, lui flottaient sur le dos. De longues jambes jaunes et pleines s'allongeaient sous la tunique ; elle grandissait tant, elle s'épanouissait si bien ! Un mois, deux mois, et voici que sous sa chemise trop courte elle balançait les seins lourds d'une adolescente. Jamais ouvrage de la nature tropicale ne parut plus beau, plus achevé. Sa peau avait la couleur d'olive pâle qu'ont les oignons de choix, et ses yeux, d'un marron foncé, retenaient toute la lumière profonde des Indes. Un seul défaut : une dent lui manquait, sur le devant, un peu à droite ; mais ce petit intervalle dans la rangée de dents que montrait son rire, était presque chez Sussie le charme le plus dangereux, car il induisait à penser que c'était bien dommage. Dans ses manières elle était encore tout à fait une enfant, insouciante, et pleine d'arôme comme un fruit.

Chose étrange, tandis que le hollandais ruisselait de sueur et que sa peau lui cuisait, celle de Sussie était toujours fraîche. Cette fraîcheur des membres ambrés de Sussie, on la sentait à distance ; elle flottait, comme un effluve réfrigérant alentour de ses pas, quand la jeune fille courait pieds nus sur le carrelage, molle, câline et souple ainsi qu'un léopard. Les ténèbres de sa chevelure, partout où pénétrait son parfum, semblaient adoucir la lumière du jour. Sussie s'opposait étrangement à toutes les tortures du climat.

Elle ressemblait surtout à son père, étant même d'un

�� �