Page:NRF 8.djvu/635

Cette page n’a pas encore été corrigée

LES DIEUX ONT SOIF 629

il ne le fait que dans la mesure la plus stricte. Il ne refuse pas le tribut d'admiration qu'il doit, mais il ne fait pas crédit, il ne va pas au devant, il a peur d'imaginer trop beau et il oublie que même en échaufiànt son esprit de tout ce qu'il peut concevoir de plus brûlant, un homme qui mène une existence régulière et paisible peut à peine se représenter ce qui, dans des circonstances exception- nelles, jaillit de grand dans des âmes même moyennes.

Cette absence de chaleur et de fougue, cette antipathie pour l'exceptionnel caractérisent à son tour le récit révo- lutionnaire Les Dieux ont soif. Et pourtant les rapports sont renversés. Jeanne est une figure merveilleuse dans une époque écrasée et mesquine ; Evariste Gamelin est un personnage effacé dans une époque surprenante. Aussi est-ce cette fois l'atmosphère du drame qui paraît froide et remuée de bien timides rafales. Je sais que c'est là la malice de ce livre : il était ingénieux, et même vrai, — mais d'une vérité, si l'on peut dire, un peu maigre — de montrer qu'on avait pu d'un cœur naïf présider à des égorgements et que l'horreur avait pu le plus platement du monde s'unir à la médiocrité quotidienne.

" Cependant les artistes et les bourgeois paisibles exami- " naient les préparatifs de la fête, et on lisait sur leurs " visages un amour de la vie aussi morne que leur vie " elle-même : les plus grands événements, en entrant

    • dans leur esprit, se rapetissaient à leur mesure et deve-

" naient insipides comme eux. Chaque couple allait,

  • ' portant dans ses bras ou traînant par la main ou faisant

" courir devant lui des enfants qui n'étaient pas plus

  • ' beaux que leurs parents et ne promettaient pas de
  • ' devenir plus heureux, et qui donneraient la vie à

�� �