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628 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

crête, l'auteur sait mettre en relief l'épisode le plus propre à stimuler, non pas la réflexion d'un cœur qui se laisse émouvoir, mais celle d'un esprit qui veut comprendre. Il n'est pas possédé par ce qu'il raconte ; il ne s'efforce pas de l'étreindre, de 1' " épouser ", de s'y confondre ; il veut au contraire maîtriser son sujet et l'analysant mieux, l'aimer en connaissance de cause. Et ce n'est point là suffisance de chartiste, mais bien modestie d'un esprit lucide qui n'a d'autre culte que celui de la lumière et qui reste plein de préventions pour tout ce qui ne se laisse pas tirer de la pénombre. S'il est intéressé, ce n'est pas par l'apparence unique et incomparable d'un événement, c'est au contraire par ce qu'il a de commun avec d'autres faits historiques. Il cesse d'admirer sitôt qu'il perd de vue l'homme qu'il connaît. De là ce que ce livre a de solide ; de là aussi ce qu'il a de court et de trop rassis.

Anatole France possède cet instinct qui est l'un des plus nécessaires à l'historien, celui de savoir deviner sous les costumes et les mœurs des temps reculés, les goûts, les tours d'esprit et même quelquefois les passions et les mouvements du cœur qui sont ceux-là mêmes que nous découvrons autour de nous : c'est l'instinct de réalité. Mais il lui manque ce que Retz nomme si bien " le jugement héroïque dont le principal usage est de distin- guer l'extraordinaire de l'impossible ", et l'on peut lui appliquer ce que le même auteur disait du président Mole : " Comme il avait été nourri dans les formes du palais, tout ce qui était extraordinaire lui était suspect. " De là un certain manque de grandeur. Comme nous possédons le texte du procès de Jeanne, il faut bien qu'Anatole France convienne de l'extraordinaire ; mais

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