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54^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un peuple et que, réciproquement, il ne peut fleurir avec perfection que dans une société réorganisée selon l'idéal socialiste. — Le hasard fait que certains d'entre ceux qui naissent réformateurs, se trouvent sensibles à l'exaltation si particulière que donne une belle œuvre d'art. Les voici tout étonnés de se découvrir par ils ne savent quoi séduits et soulevés. Aussitôt ils supposent à l'art une force mystérieuse, une vague efficace, un pouvoir de transformation et d'amélioration, qu'ils rêvent d'appliquer à la refonte des sociétés ; et dans l'artiste ils voient un homme extraordinaire, un prêtre, ou mieux un sorcier détenteur de remèdes universels.

Mais il n'est rien de plus banal qu'un artiste, rien qui ressemble moins à un conducteur de peuples. On écrit un livre, on peint un tableau, — j'entends : quand c'est pour de bon — non pas pour " résoudre la question sociale ", mais premièrement parce qu'on ne peut pas faire autrement, et deuxièmement pour ne plus avoir à le faire. Telle est la cause déterminante, telle est la fin de l'œuvre d'art. Et si elle obéit à une autre cause, si elle se préoccupe d'une autre fin, il est fatal qu'elle soit manquée. L'artiste est comme tout le monde : il ne travaille que pour en finir avec ceci, afin de pouvoir passer à cela. Son rôle est le même que celui de chacun de nous : c'est de faire ce qu'il a à faire. Il ne se distingue de nous que par ceci qu'au lieu de se la voir imposer de l'extérieur, il reçoit sa tâche de lui-même, d'un je ne sais quoi en lui qui le presse et l'oblige. Mais, comme nous, il ne s'efforce vers aucun autre but que celui-ci : s'acquitter.

Sans doute les ouvrages qu'il accomplit ainsi sous l'inspira- tion du devoir, se trouvent avoir une utilité pour les autres. Mais d'abord il ne faut pas que l'auteur ait soupçonné ni cherché cette utilité ; ensuite il s'agit d'une utilité infiniment précise et particulière : un bon livre, un bon tableau viennent combler une certaine attente, bien déterminée encore qu'in- consciente, du lecteur ou du spectateur ; ils contentent tel de

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