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530 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

que les livres de M. Baumann soient fortement teintés de naturalisme ; on y découvre une certaine complaisance aux images funèbres, excessives ou répugnantes ; lisez dans Y Immolé, la scène où Daniel Rovère poursuit le cadavre de son père suicidé, sur les eaux du Rhône, ou bien la description des plaies de M™^ Rovère. La conception même de ce livre est d'un romantisme forcené ; Daniel s'écrie avec l'accent d'un héros des Diaboliques : " J'achève des générations de maudits. " Dans La fosse aux lions, un fou ivrogne et lubrique précipite son petit-fils dans une mare ; lui aussi, ce bambin, apparaît comme une victime expiratoire. Et dans les pèlerinages de M. Baumann aux monastères célèbres de l'Eglise, ce qui surtout anime sa songerie, c'est telle frise d'un portail médiéval où sont repré- sentés les damnés parmi les tortures raffinées de l'Enfer, c'est telle fresque où des hommes et des femmes apparaissent " im- mergés jusqu'à la poitrine dans les brasiers du purgatoire, les regards collés aux cieux, et les mains jointes avec un air d'ineffable impatience. "

Trois villes saintes est peut-être, des ouvrages de M. Baumann, celui où l'art est le plus sûr, le style le plus plein et le mieux rhythmé. Dans ce triple récit de voyage, aux tombes d'un bienheureux, d'un apôtre et d'un archange, la description ne s'égare pas au gré d'un tourisme frivole ; tous les détails se ramènent à l'idée mystique que chaque saint incarne. Le Mont S* Michel n'est plus un prétexte à couchers de soleil, mais une invitation à méditer sur la nature d'un archange, d'un de ces Esprits purs, " miroirs brûlants de la Trinité Sainte qui propa- gent de hiérarchie en hiérarchie ses illuminations et ses volontés plus exactement qu'un rayon tombe du soleil sur le papier où j'écris". Et telle page comme l'attente finale du Christ: " N'est-il pas temps, Seigneur, de paraître ? Que seront vos cieux nouveaux et votre terre neuve, puisque celle-ci est déjà si belle qu'on a peine à s'en arracher?"... etc., révèle une magnificence de poésie admirable. Alfred de Tarde.

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